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20                         LA REVUE LYONNAISE

muse s'égare, plus d'une fois, dans les jardins, aux sentiers à peine
tracés, de la langue française; mais elle en fait jaillir des bouquets si
frais et si parfumés qu'il est impossible, ce nous semble, à un
homme ayant le sentiment poétique, de ne pas protester immédiate-
ment contre les jugements injustes dont il a été l'objet au xvu c et au
xvme siècle.
   Laissant de côté les passages gracieux qui s'offrent en foule dans
les Odes pindariques, nous ne voulons citer ici, à l'appui de notre
manière de voir, que six vers de Pierre Ronsard, parce que, en don-
nant une idée de sa manière d'écrire, ils prouvent aussi que son
goût était, pour l'époque, aussi sûr que celui de Boileau. Voici ces
vers, qui paraissent dirigés contre du Bartas :

            Je n'ayme point ces vers qui rampent sur la terre
            Ny ces vers ampoulez dont le rude tonnerre
            S'envole dans les airs. Les uns font mal au cœur
            Des liseurs dégoûtez, les autres leur font peur.
            Ni trop haut ni trop bas, c'est le souverain style :
            Tel fut celuy d'Homère et celuy de Virgile.

   Est-ce que Boileau ne s'est pas approprié quelque part ces deux
derniers vers, en les déguisant à peine ?
   Les habitudes moutonnières et exclusives, qui ont été de tout
temps dans le caractère français, n'ont pas peu contribué à mainte-
nir les préjugés répandus par l'auteur de VArt poétique contre les
poètes antérieurs à Malherbe. Pour nous, comme dit Théophile
Gauthier, « tout écrivain est un Dieu ou un âne. Il n'y a pas de
milieu. Corneille, Racine et Boileau sont des dieux; mais Ronsard,
Saint-Amand, Théophile, du Bartas, Scudéry, Chapelain, tous ces
écrivains auxquels le législateur du Parnasse a donné l'immortalité
du grotesque ou du ridicule, sont des ânes. On revient vite de ces
idées, quand on a le courage de lire ce qu'on n'a jamais lu et de
juger par soi-même. Ces poètes dédaignés, moqués, sont certai-
nement moins parfaits dans l'ensemble, ils ont moins de tenue;
mais ils ont plus d'originalité, et l'on est étonné des paillettes qui
brillent dans' leurs vêtement?. Ce n'est pas un langage policé,