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i8 LA REVUE LYONNAISE Cette décadence de la littérature poétique n'est, du reste, qu'une loi de la nature, qui veut que les peuples vieillissent, comme les individus. On ne peut pas toujours rêver et chanter. Il faut que le temps des mûres réflexions ait son cours. Les esprits positifs se consoleront, en montrant, par l'exemple de l'Angleterre et des Etats-Unis, que la production des œuvres poé- tiques n'est pas nécessaire au progrès moral et à la prospérité maté- rielle d'une nation. D'autres feront observer, avec plus de raison, qu'il ne faut pas confondre la poésie elle-même avec la forme poé- tique du langage, le vers. La poésie, prise dans son sens le plus élevé, n'est pas autre chose que le culte du beau dans tous les domaines qu'embrasse l'intelli- gence humaine. L'âme comprend deux forces dont le parfait équi- libre est le but et la loi de notre nature. Il y a d'abord une force d'attraction qui porte l'homme à se considérer comme un centre destiné à absorber à son profit tout ce qui l'entoure. Cette force prédomine, quand l'individu rapporte tout à lui-même et ne recule devant rien pour satisfaire ses besoins et ses appétits matériels. Il y a ensuite une force centrifuge qui le fait tendre invinciblement vers un idéal inconnu de beauté, de grandeur et de perfection. Les partisans de la poésie, entendue comme nous venons de le dire, sont les hommes que cette force centrifuge a lancés le plus loin, en dehors des prosaïsmes de la réalité. Un écrivain distingué a dit : « L'adoration et la plainte en face de la nature, voilà toute la poésie. Qu'est-elle donc autre chose que la nostalgie de l'idéal, l'amer désappointement de notre âme en proie aux réalités de la vie ?... Ce que chacun de nous veut, c'est le cri qui nous arrache à notre milieu prosaïque ambiant, qui nous réveille à une espérance et à une conviction, c'est le vers, c'est le mot qui contienne en soi de cet infini dont notre âme a soif et a faim. » ( r ) Il nous semble que, pour être poète de cette façon, il n'est pas (i) Laeaussade. — Le Moniteur, septembre 1865.