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VICTOR DE LAPRADE 411 « Tous deux rouges, confus de ce long tête-à -tête, Honteux de leur lenteur aux apprêts de la fêle, A travers champs et prés, par le plus droit chemin,1 Ils partirent d'un bond, se lâchant de la main, Et ce fut, ô bonheur de la verte jeunesse ! Une lutte joyeuse, un assaut de vitesse. Entre les hauts épis courbes légèrement On les voyait glisser dans l'or du blond froment ; Les rubans dénoués, les plis des longues manches, Sur les jeunes moissons semblaient des ailes blanches, Et l'oiseau blanc fuyait devant un sombre oiseau Comme un ramier suivi de près par un corbeau. » Tout le monde est réuni dans la salle du banquet. Je me trompe ; il manque à la table un convive, le plus gai de tous, le personnage non burlesque mais doucement rail- leur qui doit faire rayonner le sourire parmi les larmes du drame. C'est le docteur. Il ne se montre qu'a la fin du repas, distrait et soucieux, voulant à peine « Goûter au fin moka... tout ce qu'il adorait. En vain on provoquait sa douce raillerie ; Il laissait voltiger l'errante causerie ; A peine il s'y mêlait d'une phrase, au hasard; L'abeille avait rentré ses ailes et son dard. » Il faut remarquer ce beau vers ; c'est en trois mots méta- phoriques tout le portrait du docteur. Enfin, l'heure de la séparation venue, il se décide a par- ler. Mais sa parole est un coup de foudre. L'empereur (Napoléon 1er) a besoin de deux cent mille hommes. Exemp- tés, libérés, anciens et nouveaux conscrits, tout ce qui peut marcher va être appelé sous les armes. Les convives consternés font répéter la fatale nouvelle, ei tous, après quelques moments d'un sombre silence, tous, excepté le docteur et le curé, s'en retournent chez eux. Ces deux