page suivante »
SOUVENIRS — 1 8 1 3 - 1 8 1 4 - 1 8 1 5 409 Cette sortie trouva de l'écho. Plusieurs membres s'agitèrent sur leurs sièges et murmurèrent leur approbation, se portèrent la main au cœur pour en extraire, en faveur de l'ancienne dynastie, des sentiments de fidélité très endormis. Il y eut quelques timides, quelques circonspects, qui hésitèrent, quelques francs napoléoniens qui se turent et sourirent amèrement. En définitive, l'étoile impériale tomba du firmament, et le jour qui succéda fut témoin de scènes réactionnaires pénibles pour la dignité de l'humanité. Une farandole royaliste, en grande partie composée de stipendiés, et qui trouva peu de sympathie parmi le peuple, parcourut les rues et les places, brisant les aigles et les insignes impériaux. Comme si l'on pouvait supprimer l'histoire et en effacer le souvenir4 ! Puis on apprit que Napoléon avait traversé furtivement Lyon, se rendant à l'île d'Elbe, que sur son passage il reçut des ovations de ceux qui l'avaient reconnu, que notam- ment un jeune homme, au risque de se rompre l'échiné, s'élançant sur le marchepied delà voiture, lui jura amour et fidélité. Quelques semaines après, Lyon s'apprêtait à recevoir Mme la duchesse d'Angoulême2. A la suite de secousses graves, on était heureux de se reposer sur des scènes plus riantes. Aussi la nou- velle de l'arrivée de cette princesse élevée dans les larmes, de cette princesse qui avait quitté la France à travers les échafauds teints du sang de sa famille, excita-t-elle un puissant intérêt; une curio- 1 Cela s'est vu, se voit el se verra à chaque changement de gouvernement en France. On ne peut pas supprimer l'histoire, mais il y a tant de gens qui l'ignorent et ne s'en soucient ! On ne peut pas en effacer le souvenir, mais il y a tant de renégats à qui le souvenir muet que les pierres des édifices gardent du passé pèse comme un reproche ! Au reste, c'est surtout à la populace ignorante et violente que ces méfaits peuvent êlre reprochés, et c'est pour cette couche sociale où fermentent et germent les révolutions que le vieux Du Ryer a frappé ces deux beaux vers : Le peuple est incapable, en sortant du devoir, De donner des leçons comme d'en recevoir. 2 La duchesse d'Angoulême, dite Madame Royale, fille de Louis XVI et de Marie- Antoinette (1778-1851), avait épousé, en 1799, le duc d'Angoulême, fils du comte d'Ar- tois, plus lard Charles X. Longlemps captive au Temple, elle avait été (délivrée en décembre 1793 et avait séjourné à Vienne jusqu'en 1799, Les épreuves de sa jeunesse lui avaientlaissé une angoisse de cœur qui, la rendant taciturne et froide, avait altéré profondément son caractère. Elle manquait absolument de grâce et d'aisance, qualités que son époux possédait; mais elle avait, par contre, un grand cœur et une si ferme énergie, que Napoléon disait d'elle que « la duchesse d'Angoulême était le meilleure soldat de l'armée royale ».