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                 SOUVENIRS -       1813-1814-Ã815                 339
 peuple rassemblé manifestait son indignation par de sourdes
 rumeurs. L'attente était sinistre. M. Berna représenta avec chaleur
 à Bubna l'inconvénient de l'exaspération populaire, si susceptible
 de s'enflammer par des scènes de ce genre, et intercéda si bien que
 le parti de la clémence fut adopté, mais non sans les plus fortes
 menaces pour l'avenir.
    Le spectacle fut rouvert par ordre militaire pour récréer les
officiers de l'armée, mais aucun citoyen ne vint s'y asseoir avec
 eux.
    Quelques mots des logements militaires. Ce n'est pas un des
moindres fléaux de la guerre que cette hospitalité forcée. Je n'eus
cependant pas trop à maudire Bellone des héros qu'elle m'adressait.
Au premier contact, je me trouvais, il est vrai, en présence de
visages grincheux, disposés à l'exigence, et prêts à s'installer en
vainqueurs dans mes foyers. Mais aussitôt que sortaient de ma
bouche quelques paroles allemandes, les fronts s'épanouissaient :
« Ach so, der Herr spricht deulsch. (Ainsi, monsieur parle
allemand). »
    Ce qui impliquait cette pensée de leur part que rien ne leur man-
querait.
   Il m'échut d'abord quatre jeunes soldats wurtembergeois, au
teint fleuri, que j'établis dans une petite chambre d'une grande
propreté à côté de mon salon, couchés sur des matelas. Je les entre-
tins de la Souabe, d'Augsbourg que j'avais habité, je fis mettre
une grande cafetière sur le feu pour leur donner du café ad libi-
tum. Il ne restèrent que deux jours sous mon toit ; le second, ils
se seraient fait tuer pour moi ; et ils partirent en me serrant la
main, m'ayant décliné le nom de leurs villages. L'un d'eux était
de Geisslingen ; je lui arrachai des larmes en lui montrant un
étui en os travaillé à jour que j'avais rapporté de ces régions. Ils
eurent pour successeur un officier d'artillerie de la basse
Autriche, homme sec et sérieux, fort mélancolique et fort peu
exigeant.
   Il fut mon commensal à table, soupirait après sa famille. Cet
homme sans entraînement pour la guerre, faisait mathématique-
ment son devoir et tuait des hommes comme un manœuvre fend du
bois, au service de son maître»