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284 LA REVUE LYONNAISE où je ne fus oncques, pource qu'il a pieu à Dieu me mettre en autre servage hors de franchise, ce que je ne puis plus recou- vrer... » De quel autre servage veut parler l'auteur, si ce n'est de l'enga- gement dans les ordres sacrés? Au reste, pour peu que l'on consî - dère la quantité d'ouvrages de ce genre qui, à cette époque et dans les années qui suivirent, fut écrite par des clercs, la solution que je propose ne présentera rien d'étonnant. Quant à penser qu'il s'agit là d'un engagement d'amour illégitime, je ne saurais pour ma part en convenir : le ton du livre qui est partout parfaite- ment décent répugne à cette interprétation. Et l'auteur, au cas où il aurait voulu parler d'une liaison de cette nature, n'aurait point dit « qu'il a pieu à Dieu le mettre en autre servage ». Je ne puis mieux faire, pour montrer quelle a été la pensée générale de l'auteur, que de laisser la parole à lui-même : « J'ay advisé qu'en mariage y a quinze cérémonies, selon que j'en puis avoir veu et ouï dire à ceux qui les sçavent, lesquelles ceux qui sont mariez tiennent à joyes, plaisances et félicitez, et n'estiment aucunes autres joyes estre pareilles. Mais selon tout bon entende- ment, celles quinze joyes de mariage sont, à mon advis, les plus grands tourmens, douleurs, tristesses et malheuretez, qui soyent en la terre : esquelles nulles autres peines, sans incision de membres, ne sont pareilles à continuer. » Ce sont ces quinze joies ou plutôt ces quinze situations toutes plus malheureuses les unes que les autres que le naïf écrivain passe successivement en revue. Il représente le jeune homme aveuglé qui ne tend qu'à un but, l'infortuné, lui qui jouit de sa belle liberté : se marier. Il y parvient enfin : il allume les torches d'hyménée, il est époux, il est père. Et c'est alors que, pareils à une avalanche, tous les ennuis, tous les déboires, toutes les contrariétés, se pré- cipitent sur sa tête. Sa femme est boudeuse, coquette, avare, dépensière, hargneuse ; elle le vole, elle le trompe. Et le pis de tout cela, c'est que l'infortuné est lié pour la vie, c'est qu'il n'a aucun espoir d'échapper à ses maux. La séparation, remède illusoire ; le malheureux perd-il son procès? le voilà enchaîné plus durement que jamais. Le gagne-t-il? Quelle triste mine il