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ÉTUDE SUR DON QUICHOTTE ET PICKWICK-CLUB 191 et qui dit au bourreau : « Prenez votre temps, mon ami, je ne suis pas pressé. » Remarquons que c'est tout à fait comme si l'on disait sous forme proverbiale : « Qui va à la mort n'est pas pressé. » Les deux procédés rentrent l'un dans l'autre. Dickens n'a pas voulu copier Cervantes en donnant à Sam le langage de Sancho; mais par une autre voie, il arrive à produire le même effet. Du reste, Sam y joint aussi quelquefois des proverbes en forme : « Il ne faut pas laisser à la marmite le temps de se refroidir. » D'autres fois enfin les deux procédés sont employés simul- tanément : « Ce qui est fait est fait, il n'y a plus de remède, comme disait le Turc qui avait coupé la tête d'un inno- cent par erreur. » Malheureusement, les drôleries et les proverbes de Sam, sont souvent difficiles à comprendre pour les étrangers, hérissés qu'ils sont d'abréviations popu- laires et de termes d'argot, qu'on ne peut guère connaître quand on n'a point fréquenté les ruelles sombres de White- Chapel et les ports de Southwark. Ce bon sens vulgaire qui s'exprime en proverbes ou en citations plaisantes est surtout fait d'expériences journa- lières sur les détails de la vie. Rien de plus opposé à l'idéa- lisme, aux sublimes aspirations, aux prétentions ambi- tieuses. Mais rien pourtant n'est plus nécessaire pour l'existence matérielle dans les conditions d'humilité et de dépendance où le Créateur nous a placés. Quand cette humble sagesse ne descend pas à la grossièreté et à la bas- sesse d'âme qui. en sont trop souvent l'excès, il faut recon- naître sans fausse honte que le plus grand nombre des hommes fait bien de s'y tenir, et que personne ne saurait la dédaigner impunément. L'homme est fait pour marcher sur la terre; là il risque moins de tomber; s'il entreprend de voler dans les airs, il a bien des chances de se casser le