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186 ÉTUDE SUR DON QUICHOTTE ET PICKWICK-CLUB i la décadence (i) ? Ou bien encore ce grave personnage, si plaisant dans les Vivacités du capitaine Tic, M. Magis, qui fait de la statistique en comptant le nombre des veuves qui ont passé en une année sur le pont des Arts ? Dans les deux cas la plaisanterie tourne à la charge ; mais les travaux et les découvertes de M. Pickwick ne sont pas plus sérieux. Naturaliste, nous l'avons vu s'illustrer aux yeux de ses compagnons par sa théorie des têtards. Archéologue, il achète très cher une inscription fruste et illisible qu'il prend pour un rare débris des âges reculés, et qui n'est que la borne d'un champ où le propriétaire a grossièrement gravé son nom, ce qui attire au pauvre savant force moqueries et force déboires. Statisticien, il s'informe de l'âge du cheval qui traîne son cab, de l'âge du cocher, de mille autres cir- constances aussi intéressantes, qu'il inscrit soigneusement sur son carnet ; et le cocher, qui le prend pour un mou- chard, le boxe et lui poche un œil. Ainsi la critique de Dickens, plus fine et plus délicate que celle de Labiche, ne porte pas moins juste. Loin de lui la pensée de ridiculiser les vrais savants; il raille seulement les prétentions sau- grenues qui déshonoreraient la science si elle pouvait être déshonorée. L'âge de la chevalerie errante était passé à l'époque que nous peint Cervantes, et Don Quichotte était un anachro- nisme. On peut dire que quelque chose d'analogue s'est produit dans les méthodes scientifiques, et que M. Pickwick de même est venu trop tard. Longtemps la science a été chose tout individuelle ; de nos jours elle tend de plus en plus à devenir collective. Aujourd'hui les recherches scien- tifiques ne sont pas l'œuvre exclusivement personnelle de (i) La Grammaire.