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                          UNE POYPE EN BRESSE                           iép

   A moitié chemin, je trouvai Malafretaz; mais, après avoir descendu
la côte rapide qui, du village, conduit à la rivière, je m'arrêtai sur-
pris en voyant, non loin de là, dans une prairie, un monticule de
forme ronde, assez élevé, contre lequel s'escrimaient avec des
pioches et des bêches quelques hommes fort occupés à le démolir.
   J'interrogeai des femmes qui me répondirent que c'était un tom-
beau romain qu'on renversait.
   Dans les campagnes, tout monument un peu ancien est romain
ou sarrazin.
   J'y courus, et je vis une poype à moitié éventrée dont quelques
hommes jetaient les débris dans un tombereau. C'était, pour la
visiter, le moment psychologique opportun. On eût payé qu'on
n'eût pas été mieux servi.
   Le pauvre monticule était là ouvert et béant. Ainsi qu'un gigan-
tesque pâté tranché en deux par le couteau, il laissait voir, dans son
intérieur, tous les matériaux dont il avait été construit, tous les
 condiments dont il avait été pétri. L'investigation était complète.
   Ce spectacle était navrant. Si l'amour de la science contrebalan-
çait l'amour de l'art et le respect de l'antiquité, si la curiosité trans-
portée était largement assouvie, si un mystère important m'était en
ce moment révélé, il n'en était pas moins cruel de voir ce pauvre
débris des vieux âges s'effondrer, s'émietter et disparaître, après
avoir, pendant de si longs siècles, résisté aux inondations, aux
orages et à toutes les injures des hommes et du temps.
   C'était une page de notre histoire qu'on arrachait, un souvenir de
la primitive humanité, un monument de la patrie qui s'en allait.
   Mais, le tumulus, en périssant, me livrait un secret précieux et
non seulement le sien, mais aussi probablement celui de ses frères.
J'arrivais au bon moment; un peu plus tôt ou un peu plus tard, l'ou-
bli était fait. Ce jour-là, j'étais instruit, je savais ; le mystère m'était
dévoilé tout entier.
   La moitié de la poype était enlevée, nous étions au centre du
monument. Il avait été construit complètement avec la terre du
champ sur lequel il reposait. Un vaste fossé circulaire, parfaitement
visible et entouré de vieux saules en avait fait les frais. Deux ou