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14                      LA REVUE LYONNAISE

   La justesse incontestable de la réflexion exprimée dans ce
dernier vers nous dispense de répondre à ceux qui pourraient
reprocher à la langue de Christophle de Gamon de n'avoir pas
l'harmonie, la pureté et la flexibilité des chefs-d'œuvre poétiques
du xviie siècle.
   Nous conviendrons volontiers que notre poète, à l'exemple de
ses contemporains et plus particulièrement de du Bartas, se livre
à une véritable débauche d'antithèses et de jeux de mots fort peu
compatible avec le goût moderne ; que ses images ne sont pas tou-
jours justes; que sa phrase est souvent incorrecte et alambiquée.
Mais le fond rachète ordinairement la forme. Il a le souffle, la verve,
la profondeur de sentiment et l'élévation d'esprit qui font passer
sur ses défauts et le maintiennent au rang des véritables poètes.
   Peut-être est-ce ici le lieu d'exposer quelques considérations
générales sur la poésie et ceux qui la cultivent. Si les poètes de nos
jours, ou du moins ceux qui se croient tels, veulent bien nous per-
mettre de dire toute notre pensée, nous avouerons franchement
qu'à nos yeux le poète est une sorte de fossile littéraire, c'est-à-dire
le littérateur de temps et de pays qui ne sont pas les nôtres.
   Le rythme cadencé, harmonieux et lentement conçu du langage
poétique convient aux peuples chez qui le sentiment joue un plus
grand rôle que la raison. Il s'adaptait merveilleusement à la célébra-
tion des faits héroïques de l'antiquité, aux hymnes en l'honneur des
dieux. Il convient encore aux époques de renaissance des lettres,
aux langues qui se forment, parce que rien ne polit, ne fixe mieux
une langue que les vers. Mais le rythme poétique devient un ana-
chronisme, ou du moins exige une immense supériorité d'esprit,
quand une langue est déjà formée, quand la raison et l'histoire
sont venues mesurer les proportions véritables des personnes et des
choses qu'on chantait naguère avec l'enthousiasme de la jeunesse
 et de l'ignorance, quand de nouvelles directions sont venues s'im-
 poser au goût et aux idées.
   Il y a encore des faits héroïques, mais notre connaissance de la
nature humaine nous a appris à distinguer presque constamment la
faiblesse dans la force, l'homme dans le demi-dieu. Nous sommes