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20 LES VOYAGES DE MADAME DE SÊVIGNE Mme de Grignan ne fait à Lyon, qu'un court séjour et s'embarque sur le Rhône. Après les inquiétudes du voyage sur terre, sa mère lui fait part des tourments que lui cause le voyage sur le fleuve, « ce diantre, ce diable de Rhône, ce furieux Rhône, » comme elle l'appelle. Il lui inspire une peur étrange, une folle terreur et à la fin d'une lettre elle s'écrie : « Mon Dieu! le Rhône ! vous y êtes présentement. Je ne pense à autre chose. » Auprès du fleuve, la mon- tagne de Tarare lui paraît en comparaison comme les pentes de Nemours. « Parlons des bords du Rhône, écrit- c elle, vous les trouvez beaux et ce fleuve n'est composé e « que d'eau comme les autres. J'en suis surprise, j'en ai « une idée extraordinaire; il me semble qu'on devrait « dire : « Mille sources de sang forment cette rivière, « Qui, traînant des corps morts et de vieux ossements « Au lieu de murmurer, fait des gémissements. » Il paraît que ses craintes maternelles n'étaient pas tout à fait sans fondement. M. de Grignan, qui était venu au- devant de sa femme jusqu'à Avignon, s'embarqua avec elle sur le fleuve par un temps d'orage, et le bateau qui les por- tait jeté violemment sur une des arches du pont faillit se briser et s'engloutir avec ceux qu'il portait. A la nouvelle de ce danger, Mme de Sévigné exhale son effroi : « Ah ! ma bonne, quelle peinture que l'état où vous « avez été, et que je vous aurais mal tenu ma parole, si je « vous avais promis de n'être point effrayée d'un si grand « péril. Mais il est impossible de se représenter votre vie « si proche de sa fin sans frémir. Ce Rhône, qui fait peur « à tout le monde, ce pont d'Avignon où l'on a tort de