page suivante »
218 HENRI H1GNARD comparer avec la mienne et de contrôler l'une par l'autre. Parle-m'en, je t'en prie, dans ta très prochaine lettre, à moins que cela ne t'ennuie. Je suis bien content que mon père et ma mère se portent bien, mais le mal d'yeux de cette pauvre mère m'inquiète. C'est maintenant le moment, mon ami, de redoubler de soins et d'attentions pour ces bons parents. Ils ont passé la cinquantaine ; bientôt ils vont se faire vieux, et c'est à cet âge surtout qu'on a besoin d'appui, de consolation. C'est toi qui les leur donneras, car c'est toi qui restes seul chargé de cette belle tâche. De loin, je t'aiderai autant que je le pourrai, mais je pourrai bien peu. Du reste, j'aurai un autre fardeau plus rude à porter, la solitude ; cette affreuse soli- tude qui m'effraye pour le moment où je sortirai de l'Ecole. Etre seul dans une petite ville sans y connaître personne ! Heureusement, je trouverai un refuge dans le travail constant, et puis j'aurai tes lettres chéries, qui me font passer de douces heures, et tous les ans j'irai me retremper auprès de vous. Je vais finir, mon ami, et je finis par où j'ai commencé, en t'assurant que je t'aime bien, et que je pense constamment à toi, à ton bonheur, à ton avenir. J'espère que tout ira bien, mais pour cela il faut du cou- rage : c'est la condition indispensable de tout progrès. Celui qui recule devant la peine, qui se laisse accabler par 'a douleur, qui se couche à côté de son fardeau au lieu de le soulever d'une épaule vigoureuse, celui-là méritera son malheur. Et pour finir par de beaux vers d'un de mes cama- rades de l'Ecole : Au moment suprême, Les plus cruels témoins contre nous, c'est nous-mêmes! Et jamais la douleur n'a d'aiguillon plus fort Que ces mots : C'est ma faute et le ciel n'a pas tort !