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70                   DANS L'ANTIQUITÉ

d'égalité et de bonheur universel, il lui demande : « Mais
alors, qui donc cultivera la terre ? — Qui ? répond-elle, eh !
les esclaves. » — Voilà le grand mot ; il y aura des
esclaves. Dans cette société idéale que rêvent les utopistes,
il y aura toujours des hommes, plus nombreux que les
autres, qui resteront en dehors de cette égalité et de ce
bonheur ; des êtres (car en vérité ce ne sont pas des
hommes), des êtres condamnés au labeur, aux souffrances,
aux privations, et cela fatalement, pour toujours, sans
compensations et sans consolations, condamnés à ce
malheur sans issue pour assurer à une élite très restreinte
le repos et le bien-être. Les plus grands philosophes de
l'antiquité n'ont pas compris les choses autrement. Le divin
Platon, dans sa République parfaite, n'admet l'égalité que
pour les membres de la cité, c'est-à-dire pour les hommes
libres. Au-dessous d'eux il maintient la tourbe autrement
plus nombreuse des esclaves, sans lesquels l'édifice ne
tiendrait pas ; car l'humanité ne peut vivre que par le tra-
vail, par le dur travail de la terre; or, dans la société
antique, seul l'esclave cultive, arrose, moissonne, au froid,
sous la pluie, sous les rayons brûlants du soleil. Voilà plus
de la moitié de l'humanité exclue, en principe et sans
espoir, par nature, pour ainsi dire, de toute participation à
ces beaux rêves. A le bien voir, ces démocraties trop
vantées n'étaient que de très étroites et très jalouses aristo-
craties, et les utopistes les plus hardis n'avaient encore en
vue que l'infime minorité ; ils voulaient réformer le monde,
et ils en consacraient la plus criante, la plus odieuse
injustice.
   A l'honneur de nos modernes socialistes, il faut recon-
naître qu'ils pensent, raisonnent et rêvent tout autrement.
Ils savent que tous les hommes sont frères, qu'il ne doit