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90                            POÉSIE.
 Emporté sur le char des folles destinées,
11 vit ainsi passer ses plus belles années.
L'autre, son compagnon, plus posé, moins ardent,
Sans rien précipiter poursuivait son voyage ;
Il examinait tout avec discernement ;
A côté d'un beau, jour voyait un jour d'orage,
Et toujours prudemment se tenait à l'abri,
Lorsque le vent soufflait sans trêve ni merci.
          Il ne se laissait point séduire
          Par l'éclat trompeur où se mire
          La naïve crédulité ;
Ce qu'il cherchait surtout c'était la vérité,
          En se disant qu'en toute chose,
On ne doit pas s'attendre à ne voir que du rose.
          Et qu'il faut, dans ce que l'on fait,
S'accommoder du bien sans viser au parfait.
          Si quelquefois, comme il arrive,
          Dirigeant mal son aviron,
     Il échouait sur la mauvaise rive,
L'erreur qu'il commettait lui servait de leçon.

Ainsi, sans s'écarter de la route commune,
         11 fit une honnête fortune,
         Sachant se contenter du gain
         Que nous assure le bien-être
         Et qu'on voit souvent disparaître
Lorsqu'on veut le doubler du jour au lendemain.
         Généreux sans être prodigue,
Peu jaloux des grandeurs que la vanité brigue,
    De tout le monde il était estimé,
         Bien vu partout et bien aimé.

          Heureux, sans chagrin, sans tristesse,
Il traversait gaiment l'été de sa jeunesse,
      Quand, un beau soir, tout-à-coup, devant lui,
     Sous un aspect dont l'ensemble éphémère
          Faisait pressentir la misère,
          Apparut son ancien ami.
          Des deux côtés, grande fut la surprise !