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416 LETTRES DE MADAME DE STAËL. toutes les proportions humaines ; c'est admirable, trois fois ad- mirable ; et mon amitié pour vous n'entre pour rien dans cette émotion la plus profonde que les arts m'aient fait ressentir de- puis que je vis. Je vous aime dans la chambre, dans les rôles où vous êtes encore votre pareil ; mais dans ce rôle d'Hamlet, vous m'inspiriez un tel enthousiasme, que ce n'était plus vous, que ce n'était plus moi ; c'était une poésie de regards, d'accents, de gestes à laquelle aucun écrivain ne s'est encore élevé. « Adieu , pardonnez-moi de vous écrire, quand je vous at- tends ce matin à une heure, et ce soir à huit ; mais si les con- venances sociales ne devaient pas tout arrêter, je ne sais pas , hier, sije ne me serais pas fait flère d'aller moi-même vous donner cette couronne, qui est due à un tel talent plus qu'à tout autre ; car ce n'est pas un acteur que vous êtes, c'est un homme qui élève la nature humaine, en nous en donnant une idée nou- velle. Adieu ! à une heure. Ne me répondez pas . mais aimez- moi pour mon admiration. » II. « Lyon, 5 juillet 1809. « Vous êtes parti hier, mon cher Oreste, et vous avez vu com- bien cette séparation m'a fait de peine ; ce sentiment ne me quittera pas de longtemps, car l'admiration que vous inspirez ne peut s'effacer. Vous êtes, dans votre carrière, unique au monde, et nul, avant vous, n'avait atteint ce degré de perfection où l'art se combine avec l'inspiration, la réflexion avec l'involontaire, et- le génie avec la raison. Vous m'avez fait un mal, celui de me faire sentir amèrement mon exil. A peine étiez-vous parti, que le sénateurR...(l)estentréchezmoi, venant d'Espagne pour aller à Strasbourg. Nous avons causé trois heures, et nous avons sou- vent mêlé votre nom à tous les intérêts de ce monde. Il était dimanche à Hamlet, et vous l'avez ravi. Nous avons disputé sur le mérite de la pièce en elle-même. Il m'a paru très-orthodoxe, (1) Rœderev ?