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CHRONIQUE MUSICALE. 349 Lucie. Ni convulsions, ni cris, ni escamotage. L'idée coule de sa bouche franche et sentie comme sur le piano d'un compositeur. Aussi le parterre parait goûter cette friandise, et il a raison ; car l'occasion d'y revenir pourrait bien se faire attendre. A part Bettini et Mathieu,—j'oublie volontairement Roger,—où trouver aujourd'hui cette alliance de la force, de l'élévation naturelle e de la grâce ? Par ce temps de disette vocale, c'est vraiment là un phénomène exceptionnel. Faisons mieux que le constater, sa- chons le retenir. Indépendamment de ces qualités natives, il est aisé de recon- naître dans notre ténor une excellente organisation musicale, et, dans sa manière de dire, un style qui est celui non des débu- tants mais des maîtres. Chaque rôle lui fournit l'occasion d'un de ces triomphes que l'admiration la plus spontanée décerne, auxquels il n'est pas un cœur dans la salle qui ne se sente heu- reux de s'associer. Citons,—puisqu'il faut citer,—la dernière par- tie du second acte et tout le quatrième de Lucie, puis la scène de défi de la Favorite. La noble et pathétique expression de l'ar- tiste, son geste fier, son action, toujours chaleureuse et juste ce- pendant, secondent à merveille dans ces instants l'entraînante puissance de son chant passionné. La critique, toutefois, n'a pas abdiqué ses droits : elle les a même, en cette circonstance, fait valoir par anticipation. —Es- pinasse est un bon chanteur, disait-on avant son arrivée ; mais il ne convient pas à Lyon. Son organe est si délicat qu'il ne pourra chanter plus de deux fois par mois, sans être narrasse. — Il n'appartient qu'à l'avenir de prononcer sur la justesse de ce reproche. Mais dût-il, à l'épreuve, se trouver fondé, qui parmi les vrais connaisseurs oserait s'en plaindre ? A celui qui, en scène, ne se repose aux dépens ni d'un air, ni d'un pas- sage, ni d'une note, ni du moindre effet, n'accorderez-vous pas le droit de se reposer quand le rideau est baissé? Vous craignez qu'il ne se fatigue trop !... Dieu nous préserve des chanteurs qui ne se fatiguent jamais ! Second grief, mais celui-là plus réel : notre premier ténor af- fectionne beaucoup plus les traits piqués, les exclamations brè-