La revue et le congrès

Deux tribunes internationales pour l'anthropologie criminelle

A la fin du XIXe siècle, l'Ecole italienne d'anthropologie criminelle s'est révélée riche en idées et en personnages. Cesare Lombroso attire particulièrement par l'étude anatomo-biologique et reste « l'homme » du type criminel, du criminel-né, du criminel atavique. Enrico Ferri applique son esprit d'analyse, sa puissance de synthèse aux facteurs sociologiques et complète heureusement la formule lombrosienne unilatérale et exclusive. Raffaele Garofalo importe dans les doctrines juridiques ce qu'il considère comme définitivement acquis à la science parmi les nouvelles conquêtes de l'anthropologie criminelle. Ils forment un trio, une Ecole. Le plus révolutionnaire de leurs travaux est sans doute ce déplacement du regard, du crime vers le criminel, l'émergence de l'homme criminel.

Page de titre du 1er numéro des Archivio di psichiatria, Antropologia criminale e scienze penali, revue fondée par Cesare Lombroso vol. I, 1880 (BM Lyon, 135280).

On peut dire que l'Ecole italienne a construit un canevas de théories, sur lequel vont pouvoir se définir, se créer, en alliance ou surtout en opposition, d'autres Ecoles ou mouvements. C'est le cas du mouvement criminologique français rassemblé autour d'Alexandre Lacassagne et des Archives de l'anthropologie criminelle, la revue qui servira à structurer la criminologie, comme le feront, de leur côté, les congrès internationaux d'anthropologie criminelle. Revue et congrès sont deux éléments fondamentaux pour constituer un savoir émergeant, l'imposer, l'ancrer. Lacassagne a créé sa revue dans un esprit d'opposition, bien qu'il ait eu la « tentation lombrosienne » dès ses débuts.

Ce n'est pas tant ce que Lombroso énonce sur la nature du criminel qui posera problème à certains savants français, que ce qu'il dit des causes de la criminalité. Beaucoup de ces Français croient en une explication sociologique, que Lombroso a par trop négligée à leur goût. La seule explication biologique n'est pas suffisante à leurs yeux. Soyons clairs, ils ne la nient pas pour autant. Ils pensent que Lombroso n'a pas fourni les preuves mettant en avant la prédominance de cette explication qu'il tient pour fondamentale. C'est en ce sens qu'Alexandre Lacassagne interviendra au Premier Congrès international d'Anthropologie criminelle, à Rome, en 1885.

Le discours de Rome

C'est au Congrès international d'Anthropologie criminelle, à Rome, en 1885, que le Professeur Lacassagne fit « irruption » et s'affirma face au Professeur Lombroso. Ses prises de parole à ce congrès, comme son exposé, marquent bien l'expression d'une volonté et d'une conviction, peut-être également d'une stratégie. La courtoisie est de mise, mais les oppositions sont présentes. A la suite de cet épisode, Lacassagne fondera une revue afin d'exposer ses conceptions, mais restera également très ouvert à toutes les idées qui viennent nourrir le débat. Surtout, il avance son hypothèse de l'importance du milieu social. Et de terminer son intervention en concluant qu'à notre époque il n'existe plus d'Ecoles. Il n'y a que la vérité : elle est à tous. [note]A. Lacassagne, « Congrès international AC, 1885 », dans Archives de l'Anthropologie criminelle, 1886, p. 183.

Deux tendances, deux mouvements, deux hommes... Alexandre Lacasssagne, à ce congrès, a posé le premier jalon « officiel » contre l'Ecole lombrosienne. Sans colère, sans passion excessive, fort d'une idée et se sachant entouré. Il posera le second jalon, plus positivement, en se donnant un instrument propre à accueillir et diffuser les réflexions : la revue.

Page de couverture des Archives d'Anthropologie criminelle, de Médecine légale et de Psychologie normale et pathologique, fondée et dirigées par le Professeur A. Lacassagne n° 223, t. XXVII, 15 juille 1912 (BM Lyon, s.c.).

La revue se veut, dès le début, le parfait organe d'expression du mouvement d'anthropologie criminelle français, ou plus exactement « lyonnais ». Car tout se passe à Lyon, loin de la capitale. C'est dans cette ville que Lacassagne crée les Archives de l'anthropologie criminelle en 1886, revue qui veut incontestablement se positionner parallèlement à celle de Lombroso [note]Rappelons que Lombroso avait fondé l'Archivio di psichiatria e scienza penali en 1880, avec Ferri et Garofalo., et l'égaler. Et plus que l'égaler, la contrecarrer, voire la surpasser. La revue a plusieurs objectifs, un objectif politique, d'abord, en menant un débat avec Lombroso, un objectif scientifique, ensuite : Lacassagne est avant tout le promoteur ambitieux de cette idée qui ne l'est pas moins, créer ce qui manquait alors aux chercheurs français dispersés, un lieu d'expression ; enfin, un objectif « humain », puisque cette revue rassemble autour d'elle curieux, érudits, hommes de la profession ou autres... Une sorte d'organe de liaison, donc, de correspondance, un intermédiaire pour les médecins de province souvent isolés et sans autres ressources documentaires que leur bibliothèque.

Ainsi, par le biais des Archives de l'anthropologie criminelle, l'Ecole française va naître et alimenter une controverse de vingt-huit années (1886-1914) avec les Archives de psychiatrie et d'anthropologie criminelle (1880-1917) ultramontaines. Cette lutte doctrinale n'est jamais véritablement meurtrière et n'exclut pas le dialogue constant (ou quasiment), qu'accompagnent néanmoins de profonds (ou moins profonds) différends.

La naissance d'une « Ecole » ?

Cette revue manifestera l'ouverture de son esprit en traitant des sujets plus larges, plus « colorés » que ceux qui touchent habituellement au phénomène criminel. Véritable revue « de sciences sociales » mais à l'orientation médicale, elle permet à l'Ecole lyonnaise d'exister. En effet, le journal devient l'instrument concret de rencontres et de contacts entre gens différents, venant d'horizons professionnels divers, qui se retrouvent dans cette optique de démarcation face à Lombroso, mais aussi d'adhésion à un certain nombre d'idées ou de conceptions que Lacassagne et sa revue défendent. Voilà comment un groupe, a priori inorganisé peut, par l'intermédiaire d'une revue, se construire, se réaliser, se développer... et devenir ce que l'on nomme une « Ecole ». Une Ecole, parce qu'on y retrouve une trame, une structure, une quasi-cohérence, autour de mêmes devises, de mêmes valeurs. Et un chef de file, en l'occurrence Lacassagne.

Médecins, provinciaux, universitaires et « généralistes », voici le lot de cette Ecole. Ces hommes président à la destinée, à la dynamique et au fonctionnement de la revue. De tout cela un élément ressort, qui a trait à l'omniprésence de Lacassagne. Lié à l'éditeur [note]Des revues présentent parfois Lacassagne comme éditeur lui-même. Je crois qu'il y a là un abus de terme.

La chaire de Médecine légale lyonnaise a toujours été un centre important de publications. Lacassagne était un grand lecteur, écrivain, éditeur
, dans Bulletin de médecine légale et toxicologie médicale : Cinquantenaire d'A. Lacassagne, 1975, n° 8, p.10 ; ou
Lacassagne... enseignait mais il était aussi à la fois expert, chercheur et praticien. Il éditait les Archives d'anthropologie criminelle
, dans Instantanés criminologiques, 1975, n° 26, p. 6., récipiendaire des manuscrits, on ne peut omettre dans cet aspect matériel du fonctionnement, l'engagement concret et l'investissement total du Professeur. Il semble porter complètement la revue et la personnifie puisque les Archives sont appelées à l'étranger les Archives de René Garraud, Paul Dubuisson et Gabriel Tarde, « étoile filante » de cette publication, seront amenés à le seconder. La revue s'arêtera en 1914, victime des circonstances politiques. Elle ne reparaîtra plus sous cette forme et ce titre. La guerre n'aura fait que porter un coup fatal à un mouvement qui allait en s'essoufflant.

La table des matières est la clé pour tout ouvrage, toute revue. Elle se présente ici de manière détaillée, avec des rubriques spécifiques. Il n'y a pas une construction modèle de cette table. Elle semble respecter « un schéma type » à ses débuts (1886-1897) puis se recompose de façon différente, un peu désordonnée...

Page de titre du Premier Congrès international d'Anthropologie criminelle Rome, Forzani et C., 1885 (BM Lyon, 135299).

Deux rubriques sont constantes et gardent, pendant les vingt-huit années de parution, leur place et leur importance : la première, les « Mémoires originaux », la seconde, la « Revue critique » ; une revue bibliographique accompagne dès leurs débuts ces deux rubriques. En 1898, les « Notes et observations médico-légales » apparaissent. En 1914, une rubrique « Police technique » consacre ce domaine largement développé dans les Archives. En revanche, l'arrivée discrète en 1898 des « Notes et observations médico-légales » transformera l'équilibre global. Cette rubrique va prendre la deuxième place dans la table des matières. Elle est souvent très richement fournie, et vient entériner un état de fait dans la revue, l'importance et l'intérêt envers la médecine légale. Elle affirme l'identité de la revue autour de ce domaine.

Différents thèmes présents dans les Archives et restituant les différentes options en médecine légale peuvent être recensés. Ainsi la responsabilité médicale est largement étudiée [note]A. Lacassagne, « Les médecins experts devant les tribunaux », AAC, 1891. - « Les médecins experts et les erreurs judiciaires », AAC, 1897. ; de précieuses acquisitions de connaissances sont faites à propos de l'âge, du sexe ; les médecins légistes ont emprunté aux cliniciens les indications fournies par la denture, l'état de la peau, le fonctionnement organique ; à propos du sexe, des études sur l'hermaphrodisme et l'impuissance sont publiées ; des articles sur les différences de criminalité entre les deux sexes ; on démontre comment les actes de l'état-civil (naissance, mariage, décès) révèlent tous les droits et les devoirs des personnes et leurs capacités ; on prouve comment la médecine légale s'exerce en ce domaine. Le chapitre de la thanatologie a fait l'objet d'études très approfondies ayant pour but de constater la réalité de la mort, ses causes, les circonstances qui l'ont accompagnée. Autopsies, examen des taches, des cheveux, des poils, études des coups et blessures par armes à feu, instruments contondants, mais aussi blessures professionnelles, accidents du travail, sont des domaines d'intervention de la médecine légale, sans oublier les asphyxies ou les empoisonnements [note]Voir Hugounenq et Lacassagne, « Du cyanure de potassium au point de vue médico-légal », AAC, 1888. A. Lacassagne, « Empoisonnement suicide par l'aconitine », AAC, 1893.A. Lacassagne et Roland, « Empoisonnement par le chlorhydrate de cocaïne », AAC, 1905, etc.. Le suicide, le duel comme formes de mort violente, font partie des travaux relatés par la revue. En évoquant les questions liées au sexe, il ne faut pas oublier les attentats aux moeurs, l'homosexualité et, dans une autre optique, la grossesse, l'avortement, l'infanticide. Tous ces thèmes de prédilection de la médecine légale se retrouvent là. On peut observer qu'un grand nombre des affaires qui se sont déroulées à cette époque sont également évoquées. Les experts y sont directement impliqués, ou bien ils s'en inspirent afin d'en tirer des observations.

D'un congrès à l'autre

Nous avons tenté d'esquisser les différents aspects de la revue ; on y a découvert le rôle moteur et dynamique qu'elle jouait comme organe d'expression du mouvement, pôle de rencontre des hommes et des idées... Les Congrès internationaux d'Anthropologie criminelle jouent également ce rôle. Ils structureront le mouvement français.

A la fin du XIXe siècle, le congrès revêt une importance toute particulière. Par sa fréquence, sa diversité, sa variété, ce lieu de communication et de pouvoir devient pour une pensée, un thème, pour un mouvement et pour des hommes, un objectif incontournable afin d'échanger et surtout d'exister. Il participe au développement d'une certaine idée de l'Europe pénale et construit les fondements d'une « internationale » judiciaire.

Les réflexions sur le crime se composent de travaux, rapports, doctrines, et vont peu à peu se « discipliner » grâce à ces institutions de discussion, d'évaluation et de transmission des résultats et des recherches. Cette élaboration d'une communauté scientifique (nationale et internationale) participe aussi de la formation d'un savoir. Tous ces éléments concourent à la reconnaissance de ce dernier, à sa qualification ainsi qu'à celle d'un certain savoir-faire. On aboutit ainsi à un savoir spécialisé induit, construit et débattu entre spécialistes qui se retrouvent mobilisés pour le débat public, dirigé vers un but et une finalité pratique.

Les Membres du Congrès de l'Association française pour l'Avancement des Sciences (A.F.A.S, 2 au 8 août 1906) sur les marches de la Faculté de médecine à Lyon (BM Lyon, s.c.).

Le congrès est un lieu original et fondateur qui impose la discipline. La permanence de ces réunions fixe et stabilise le mouvement, lui constitue une histoire, une tradition, des « rites » qui l'institutionalisent. Le caractère de « rassemblement international » donne en outre une dimension « consensuelle » à ces échanges qui s'élaborent sous le signe de la « science » et transcendent, par là-même, les clivages intellectuels ou politiques.

Ces congrès internationaux où vont se jouer les querelles d'Ecoles et d'idées vont nous permettre de suivre l'évolution politique de la criminologie française et européenne. Huit congrès ont été prévus de 1885 à 1914 : Rome (1885), Paris (1889), Bruxelles (1892), Genève (1896), Amsterdam (1901), Turin (1906), Cologne (1911) et Budapest (1914). Ce dernier n'aura pas lieu. La durée de vie des congrès respecte la durée de vie des mouvements de criminologie et spécifiquement du mouvement français qui s'arrêtera avec la guerre.

Les congrès sont des lieux d'échange, de diffusion, également des lieux de conflits ou de pouvoir où des adversaires qui ont polémiqué ou qui se sont « alliés » par la plume, se retrouvent face à la parole qui les amène à se confronter. Ces congrès sont riches, denses, par leur programme, leur durée (souvent plusieurs jours), les personnalités présentes et les discussions abordées. Ils donnent à voir de façon synthétique la palette des conceptions criminologiques de l'époque et des divers pays du monde et ils la « concentrent ». Chaque pays « criminologiquement » investi a été hôte et pays organisateur, avec une préférence donnée aux Italiens qui, par deux fois, se retrouvent ainsi choisis. Les pays organisateurs investissent beaucoup d'énergie dans la préparation du congrès. La forme des congrès semble relativement classique. Un parrainage officiel, la présence d'un ministre, souvent le ministre de la Justice et des délégués des gouvernements assistent à l'inauguration du congrès. Les rituels discours d'ouverture et de clôture encadrent la réunion. Le premier est toujours modéré, « neutre » et bienveillant : discours de bienvenue, il met en place les faits et les acteurs, sans excessive passion ou polémique. Le second, au contraire, me semble plus important : il est un témoignage du congrès et sur le congrès. Au rythme d'une synthèse brillante, il réaffirme une victoire, un K.O., le triomphe d'une idée ou conclut une polémique inachevée. Toujours très tourné vers la science et le progrès, bénéficiaires permanents du genre, le discours de clôture est souvent lyrique et il joue l'optimisme et la réconciliation après le feu de congrès batailleurs.

Il ne faudrait pas oublier dans cette organisation et composition du congrès ce qui en forge la sociabilité et reste un élément important, voire un point fort parfois : les visites et les banquets, tout ce qui constitue les « pauses », les extras, bref l'autre versant du congrès. A chaque réunion, l'occasion est belle pour la nation organisatrice de montrer ses talents, ses innovations, ses modèles. La connaissance, l'échange, les paroles et les liens se tissent mieux au milieu d'un repas et de toasts chaleureux qu'au sein de séances plus académiques [note]1889 : les Brouardel invitent dans les salons du doyen de la Faculté, réception de gala à l'hôtel du prince Roland Bonaparte. 1892 : réception du roi au Palais de Bruxelles, réception du ministre de la Justice dans les salons. 1896 : réceptions, dîners, soirée de gala à l'Opéra d'Amsterdam. 1906 : fêtes en l'honneur du jubilé de Lombroso.... En ce qui concerne la participation, elle semble véritablement internationale : la France, l'Italie, la Belgique, l'Allemagne, la Suisse, la Hollande, la Hongrie, le Brésil, le Mexique, le Pérou et la Chine. Des sociétés surtout d'origine médicale ou juridique envoient leurs représentants, mais elles ne sont mentionnées en tant que telles qu'en 1892.

Le deuxième point d'observation à partir des congrès, s'attache aux rôles qu'ils jouent, aux enjeux divers qu'ils représentent. Lieu d'instauration d'une discipline, lieu de construction des idées scientifiques en évolution, lieu d'échanges, de diffusion, le congrès international peut combler ou décevoir les attentes. Il met également en place des enjeux implicites, en renforçant des réseaux, en permettant les effets de scène, en valorisant symboliquement une nation ou une autre. Il suscite la réunion physique des protagonistes qui s'opposent par écrit entre chaque rencontre.

Page de couverture du Cinquième congrès international d'Anthropologie criminelle Amsterdam, J.H. de Bussy, 1901 (BM Lyon, s.c.).

C'est en plus un lieu médiatique. La présence ou l'absence de tel ou tel peut marquer l'allure, l'orientation d'un congrès. Ainsi en 1889, les présences de Pauline Pigeon et de Clémence Royer sont remarquées. Il faut dire que la participation féminine est très rare dans les réunions d'hommes et les réunions de scientifiques. [note]Ce qui n'empêche pas Ferri de penser que les femmes viendront à l'anthropologie criminelle, étant exclues des congrès des criminalistes juristes, parce que -- dit-il -- malgré ou grâce aux premières déterministes, elles voient et elles sentent que dans cette clinique morale, individuelle et sociale pour diminuer le fléau de la criminalité, leur activité, leur pensée et leur sentiment peuvent s'appliquer utilement. (AAC, 1901, pp. 519-520). En 1901, c'est le juge Magnaud, le « bon juge », qui est la vedette du congrès. Mais l'absence de tel ou tel peut être plus significative encore, et encore plus l'absence de tout un groupe. Si, en 1889, l'Ecole italienne socialiste, représentée alors par Napoleone Colajanni, ne vient pas, l'incident est vite clos. En revanche, en 1892, c'est toute l'Ecole italienne qui est absente : Lombroso, Ferri, Garofalo, etc. Une lettre collective signée de quarante-neuf noms explique cette abstention par la non-production des données qu'une commission internationale aurait dû établir. Lettre cordiale mais sans appel qui ressemble fort à un prétexte évitant à un Lombroso, vexé ou fâché par les attaques qui lui sont faites, de se présenter devant ses adversaires. Cette absence déterminera le climat de la réunion. C'est la France qui, en 1896, n'enverra pas de délégués officiels sans expliquer ce geste. Ainsi, la participation d'un groupe ou son absence est un élément important dans l'élaboration du congrès et montre les enjeux que celui-ci représente à travers l'utilisation qui est faite de cette participation ou de cette absence.

Les congrès permettent aussi à une discipline de se développer, à des hommes de s'exprimer, à des nations de se confronter sur un pôle scientifique et intellectuel. Ils permettent de mettre en relief l'existence ou le poids de réseaux, culturels, intellectuels, professionnels. Les congrès sont des mines d'informations et des prétextes à rencontres, pour les participants d'abord (et pour nous, observateurs) qui profitent de l'atmosphère conviviale d'une réunion de plusieurs jours où alternent séances de travail et visites ou réceptions. Nul ne pourra nier le rôle diplomatique que jouent ces réunions. Les scientifiques sont également les porte-drapeau de leur pays et ce dernier, à travers les avancées, les talents de ces porte-parole, gagne des points sur le terrain des relations internationales. Par exemple, le choix de la langue officielle d'un congrès exprime la suprématie culturelle (et donc politique) d'un pays.

Ces congrès sont enfin de vrais théâtres où des mises-en-scène très variées se déroulent : scientifiques, intellectuelles, dramatiques ou comiques. Le congrès international est un grand moment, un lieu important par son prestige, son éclat, sa composition et les fastes ou les effets qu'il génère. Moment choc, moment bilan plus que moment dynamique, c'est un lieu qui synthétise les échanges occasionnés par les articles rédigés entre deux congrès, un lieu qui galvanise les auteurs, valorise des travaux et des idées en cours. C'est le lieu du débat d'idées, et non celui de la réalisation. Même si beaucoup de voeux clôturent les congrès, ils ne sont pas ou peu réalisés et la désillusion est souvent de mise.