Le microbe et le bouillon de culture
Alexandre Lacassagne à la recherche d'une criminologie du milieu
De 1885 à 1914, Lyon a été la capitale de la criminologie française. Le Docteur Alexandre Lacassagne, professeur titulaire de la chaire de Médecine légale, s'imposa, par ses écrits, par la création des Archives de l'anthropologie criminelle et grâce aux nombreux étudiants en médecine qui travaillèrent sous sa direction, comme la figure dominante de cette période. Sa propre théorie du crime et du passage à l'acte a pourtant connu une postérité paradoxale. Tandis que Cesare Lombroso a toujours été reconnu comme l'un des pères fondateurs de la criminologie et l'exemple même de ce qu'il ne fallait pas faire, Lacassagne, qui fut l'un de ses premiers contradicteurs, ne sort de l'oubli que depuis quelques années, et moins sous l'effet d'une actualisation de sa théorie qu'à cause de la somme des travaux d'historiens.
La criminologie de Lacassagne a souvent été résumée, par lui-même comme par ses élèves, en trois « aphorismes » :- Le milieu social est le bouillon de culture de la criminalité ; le microbe, c'est le criminel, un élément qui n'a d'importance que le jour où il trouve le bouillon qui le fait fermenter.
- Au fatalisme qui découle inévitablement de la théorie anthropologique, nous opposons l'initiative sociale.
- La justice flétrit, la prison corrompt et la société a les criminels qu'elle mérite. [note]A. Lacassagne, « Les transformations du droit pénal et les progrès de la médecine légale, de 1810 à 1912 », Archives de l'anthropologie criminelle, 1913, p. 364 (BM Lyon, 135190).
Ces aphorismes ne permettent pourtant guère de saisir l'originalité d'une pensée qui s'est construite en réaction à la théorie du « criminel-né » de Lombroso. Si Lacassagne a tout d'abord été séduit par la thèse du « maître de Turin », il s'oppose rapidement, sous l'influence probable de Gabriel Tarde, à l'existence d'un « criminel-né » généralisé. Dès 1881, le médecin lyonnais conclut une étude sur le tatouage en se démarquant explicitement de son confrère transalpin. Les tatouages ne sont pas pour lui des effets de retour aux coutumes de nos ancêtres par atavisme, mais la répétition de coutumes propres aux peuples primitifs :
Là où le professeur de Turin voit une interruption, puis un retour en arrière, je montre une série non interrompue et une transformation successive d'un instinct [...] ; où Lombroso trouve des types anciens, tout à coup reproduits, nous ne voyons que des types retardés.[note]A. Lacassagne, Les Tatouages. Etude anthropologique et médico-légale, Paris, J.-B. Baillière, 1881, p. 115 (BM Lyon, Rés 135321). Portrait photographique d'Alexandre Lacassagne à la fin de sa carrière, assis à sa table de travail (coll. part.).
Lorsque Lacassagne dresse, en 1905, un bilan de l'anthropologie criminelle, il tient pour acquis la démonstration de l'hérédité du crime, la mise en évidence d'une hérédité pathologique dégénérative très lourde chez la plupart des criminels, l'existence de malformations anatomiques et d'anomalies physiologiques très fréquentes mais sans constance suffisante pour que l'on en induise un type criminel (contrairement à ce qu'affirmait Lombroso), la présence chez les criminels de troubles de la sensibilité morale (impulsivité, cruauté, absence de remords, imprévoyance et vanité) et, enfin, un état intellectuel variable. Ces « acquis » permettent de saisir l'originalité d'une pensée irréductible aux canons de la sociologie contemporaine : l'accent mis sur le « milieu social » n'implique pas le rejet des anomalies physiques et le déterminisme du milieu n'entraîne pas le refus de toute hérédité du crime [note]A. Lacassagne et Etienne Martin, « Etat actuel de nos connaissances en anthropologie criminelle pour servir de préambule à l'étude analytique des travaux nouveaux sur l'anatomie, la physiologie, la psychologie et la sociologie des criminels », L'Année psychologique, Paris, 1905. Reproduit dans les Archives de l'anthropologie criminelle, 1906, pp. 104-114..
Portrait du Docteur F. J. Gall, gravure de Boilly d'après Bourgeois de la Richardière (BM Lyon, Estampe Gall).Circonstances sociales
Pour mettre au jour le principe organisateur de la pensée de Lacassagne, il faut faire appel à sa lecture d'Auguste Comte, à la phrénologie , et à la pensée hygiéniste. Alexandre Lacassagne partage notamment son admiration pour Gall, le fondateur de la phrénologie [note]Très en vogue au XIXe siècle, la « phrénologie », d'abord appelée « craniologie » par François-Joseph Gall, énonçait une thèse selon laquelle l'inspection et la palpation du crâne et la recherche de ses protubérances, ou bosses, permettraient de connaître les facultés et les instincts dominants d'un sujet, en référence à des localisations cérébrales., avec Joseph Gouzer et surtout avec son collègue positiviste et co-fondateur des Archives de l'anthropologie criminelle, Paul Dubuisson. Lyon a d'ailleurs été dans la première moitié du siècle une ville-phare pour le développement de la phrénologie . Le médecin lyonnais Fleury Imbert (1796-1851) a notamment suivi les cours de Gall à Paris. Disciple de Fourier, il épouse vers la fin de sa vie la jeune veuve de Gall et récupère ainsi une partie de la collection de crânes, dont l'essentiel sera acheté par le Muséum d'Histoire naturelle de Paris. Il faut mentionner également Emile Gromier qui connaît, comme Lacassagne, la phrénologie alors qu'il est médecin militaire au Val-de-Grâce.
Pour l'Ecole de Lyon, le crime est un mouvement antiphysiologique qui se passe dans l'intimité de l'organisme social. [note]J. Gouzer, « Théorie du crime », Archives de l'anthropologie criminelle, 1894, p. 271. Il n'est pas l'expression d'un simple faculté innée, mais la conséquence d'une interaction entre l'individu et son milieu de vie. La capacité à distinguer le bien et le mal, le « sens moral », est le double produit de l'adaptation de l'individu à la société et d'un bon équilibre de toutes les parties de son cerveau. Le cerveau est, pour Lacassagne comme pour la plupart de ses contemporains, un organe « malléable », qui peut être fortifié par le travail intellectuel ou, au contraire, diminué s'il n'est pas régulièrement sollicité. La partie occipitale, siège des instincts, est même considérée comme particulièrement réactive aux « circonstances sociales ».
Le facteur social et le milieu dans lequel nous vivons sont très importants ; ces facteurs retentissent surtout sur la partie occipitale du cerveau. S'il n'y a pas équilibre parfait, on se trouve en présence du vice, du crime, de la révolte contre l'état social. Cela explique les crimes provoqués par la misère. L'étude du fonctionnement cérébral doit donc prédominer, et c'est sur elle qu'il faut asseoir la théorie de la criminalité. [note]A. Lacassagne, « Les sentiments primordiaux des criminels », Actes du Congrès d'Anthropologie criminelle de Bruxelles, Bruxelles, F. Hayez, 1892, p. 240
La biologie est, dans cette lecture, un facteur mésologique indispensable. Elle remet en perspective les fameux aphorismes : le criminel est microbe, le milieu social est bouillon de culture. Pour Lacassagne, ... côté biologique et côté social sont les deux aspects fondamentaux de la criminalité et constituent à ce titre les deux données essentielles de l'anthropologie criminelle. Du positivisme, de la phrénologie et de l'hygiénisme, le Professeur retient deux principes fondamentaux : l'organicisme et les localisations cérébrales.
"La peine de mort", L'Assiette au beurre n° 310, 9 mars 1907 (BM Lyon, 128759)L'organicisme l'incite à ne jamais isoler les individus de leur milieu social. Quant à la notion de localisation cérébrale, héritée de la phrénologie, elle lui permet de dresser une topographie cérébrale dans laquelle l'aire occipitale contient les instincts animaux, les zones pariétales régissent l'activité, tandis que la partie frontale est le siège des facultés supérieures. Pour Lacassagne, la société est une agrégation d'individus dont les systèmes nerveux n'ont pas évolué de la même manière. De même qu'il existe trois grandes couches en chaque cerveau, de même, il existerait trois grandes « couches sociales » : frontales, pariétales et occipitales. Ces trois couches socio-phrénologiques produisent trois grandes catégories de criminels : les « criminels de pensée » (frontaux), les « criminels d'actes » (pariétaux) et les « criminels de sentiments ou d'instincts » (occipitaux). Les « criminels aliénés » sont fréquents dans la première catégorie. Dans la seconde, on trouve surtout des criminels par impulsions ou occasions, et c'est chez eux que les châtiments et les peines peuvent avoir un effet. Les « véritables criminels », « insociables », sont concentrés dans la dernière couche, « occipitale ».
Partisan de la peine de mort
Pour saisir la philosophie pénale de Lacassagne, on peut se reporter aux positions concrètes qu'il prend lors de deux grands débats parlementaires sur la pénalité. Le premier a lieu dans les années 1880. Il concerne la relégation des récidivistes et aboutit à la loi du 27 mai 1885. Le second débat important est la tentative d'abolition de la peine de mort, proposée en 1906 sous la pression de l'alliance des radicaux et des socialistes, et qui échoue en 1908. Le projet de loi de relégation déposé par Waldeck-Rousseau et Martin-Feuillée est appuyé et voulu par Léon Gambetta, qui décède avant d'en voir l'aboutissement.
Si l'on ne met pas en doute la solide amitié qui unit Gambetta et Lacassagne, on peut penser que le médecin joue un rôle dans la détermination de l'homme politique. Cette hypothèse est renforcée par l'activité déployée dès 1881 par l'Alliance républicaine socialiste de Lyon et les loges maçonniques pour inscrire ce projet dans les programmes radicaux. Or l'esprit positiviste, le radicalisme et la franc-maçonnerie sont alors en parfaite symbiose et bien représentés chez les collaborateurs de Lacassagne (Dubuisson, Debierre, etc.). L'Alliance républicaine socialiste de Lyon propose même la déportation des récidivistes, après seulement trois condamnations de droit commun, ce qui constitue une mesure nettement plus répressive que les dispositions de la loi finale.
Alexandre Lacassagne est donc un chaud partisan de la relégation et la plupart de ses interventions, avant 1885, sont pour lui l'occasion de rappeler son attachement à cette mesure, en appuyant à chaque fois sa position sur une légitimité scientifique. Voici par exemple en quels termes il s'exprime sur le sujet en 1881 lors de sa leçon inaugurale au cours de médecine légale : A l'heure actuelle, ce seront encore des médecins qui montreront aux magistrats qu'il y a parmi les criminels des incorrigibles, des individus organiquement mauvais et défectueux, et obtiendront non seulement leur incarcération - la prison est pour les criminels d'actes et l'asile pour l'aliéné criminel -, mais leur déportation dans un endroit isolé, loin de notre société actuelle trop avancée pour eux. [note] A. Lacassagne, « Marche de la criminalité en France de 1825 à 1880 (Du criminel devant la science contemporaine) », La Revue scientifique de la France et de l'étranger, 1881, 1, p. 684 (BM Lyon, 135385). Tant que la société ne se résoudrait pas à faire cette sélection, le médecin jugeait qu'elle couverait le crime en serre chaude et que l'on verrait augmenter ces deux plaies modernes que sont les dérivatifs de la criminalité : le suicide et la prostitution.
On pourrait attribuer cette prise de position à la période « lombrosienne » de Lacassagne. En fait, elle relève plus de la philosophie pénale de Gall que de l'influence de Lombroso. De toute façon, Lacassagne ne se démarque guère ici de ses collègues : Garraud demande des « mesures exclusives » contre les criminels incorrigibles, et Coutagne est plus précis encore, en proposant la transportation en Nouvelle-Calédonie (dans des établissements spéciaux) des « aliénés-persécuteurs ». Ces propositions sont partagées par bon nombre de non-médecins.
Il est important de rappeler ici qu'Alexandre Lacassagne n'a de cesse d'affirmer la responsabilité de la société dans le développement de la criminalité et qu'il propose tout au long de sa carrière des réformes pour les enfants abandonnés, encourage le mouvement de patronage des libérés, la lutte contre la misère, contre l'alcoolisme, contre l'opium, les récits de crimes, la publicité des débats judiciaires, la reproduction des portraits de criminels, etc.
Le chef de file de l'Ecole lyonnaise a pourtant du mal à cacher son pessimisme et, en matière de politique criminelle, il ne cesse de reprendre à son compte la vieille antienne des partisans de « l'ordre ». Malgré la loi de la relégation, la société ne sait plus se défendre : Les lois du sursis, de libération conditionnelle, de relégation n'ont pas fortifié la répression. Les criminels n'ont vu dans ces mesures que des signes de faiblesse ou de crainte : ils sont difficilement intimidables, que craindraient-ils d'ailleurs ? On n'applique plus la peine de mort, les prisons sont des demeures confortables, le bagne, un asile où l'existence est rarement dure, le plus souvent supportable, et d'où il est possible de sortir. [note]A. Lacassagne, Peine de mort et criminalité. L'accroissement de la criminalité et l'application de la peine capitale, Paris, Maloine, 1908, p. 117 (BM Lyon, 427611). La philanthropie doit donc avoir ses limites et la société a affiché depuis 1810 une « sensibilité exagérée, une faiblesse coupable qui avait conduit à un adoucissement « excessif » des peines. Il y a d'ailleurs, selon Lacassagne, une véritable « crise de la répression » due à l'impunité des crimes, aux acquittements trop fréquents et à la non-application des peines. Le résultat, c'était ce fameux taux de récidives dont l'augmentation obnubile tous les criminalistes de l'époque. L'activisme des anarchistes, la délinquance des « apaches » et les mouvements revendicatifs des cheminots sont autant de symptômes qui signalent au médecin les désordres du corps social. Il faut réagir, et vite. S'appuyant sur Gall et la thèse de droit d'Emile Laurent, parue en 1912, Lacassagne se déclare par exemple « très partisan » du fouet et de la mise en place d'un « code de sûreté » pour les « incorrigibles ».
Ce genre de constat n'est certes pas moins répandu à l'époque que les propositions de réforme sociale évoquées plus haut, mais il nous permet de constater que 1'« initiative sociologique » que Lacassagne oppose systématiquement au « fatalisme » lombrosien est, - si l'on ose dire - à double tranchant.
Le médecin et ses aphorismes
Lacassagne s'engage d'ailleurs très clairement contre l'abolition de la peine de mort lors du débat parlementaire de 1908. Il développe son point de vue dans un ouvrage, en estimant rétrospectivement que sa prise de position a eu « quelque influence » dans le maintien de la peine capitale [note]A. Lacassagne, « Les transformations du droit pénal et les progrès de la médecine légale, de 1810 à 1912 », Archives de l'anthropologie criminelle, 1913, p. 324 (BM Lyon, 135190).. S'appuyant sur des études comparatives et dénonçant « les arguties de l'humanitarisme », il y affirme qu'à l'égard des « imparfaits et méchants », il convient d'employer la « manière forte ». Pour cela, il faut appliquer systématiquement toutes les sentences de condamnations à la peine de mort pendant au moins dix ans si la statistique criminelle révèle que les crimes de sang sont en augmentation. Lacassagne demande toutefois un aménagement des conditions d'exécution de la peine capitale. La guillotine devrait être remplacée par la pendaison, plus « hygiénique ». Quant au lieu même de l'exécution, il devrait être déplacé dans l'enceinte des prisons, afin de soustraire ce spectacle au regard de la foule occipitale, « obscène et sanguinaire ».
"Les derniers forçats du bagne de Brest travaillant au saloir (commencement des travaux vers 185...)", dans Dossier de pièces manuscrites et photographiques sur l'ancien bagne de Brest (BM Lyon, Ms 5256)Là encore, Lacassagne reflète bien l'opinion de ses collaborateurs. Armand Corre par exemple, commentant son livre dans les Archives de l'anthropologie criminelle, approuve sans réserve l'idée selon laquelle la peine de mort est finalement la seule peine compatible avec les progrès du sentiment humanitaire. [note]A. Lacassagne cité in Armand Corre, « A propos de la peine de mort », Archives de l'anthropologie criminelle, 1908, pp. 230-241(BM Lyon, 135190). C'est opérer là un singulier renversement avec la philanthropie médicale du début du siècle...
Il nous reste à éclaircir une énigme. Alors que Lacassagne a été reconnu comme le chef de file de l'opposition aux « exagérations » de la théorie du criminel-né que développait Lombroso, alors même que ses aphorismes furent régulièrement cités, aucun de ses élèves, pas un de ses amis n'a défendu sa théorie néo-phrénologique...
Ce contraste singulier entre le prestige de l'individu et l'apparente méconnaissance de sa théorie, s'explique si l'on tient compte de l'état des sciences à l'époque. D'abord, la phrénologie est devenue, depuis au moins une trentaine d'années, une référence illégitime, qui n'est plus prise au sérieux par la grande majorité des scientifiques. L'anthropologue Topinard, qui critique fortement Lombroso et l'Ecole de Lyon en leur opposant une conception « zoologique » de l'anthropologie criminelle, exprime sans détours l'opinion généralement répandue à l'époque sur la phrénologie :
assurément, aucun craniologiste digne de ce nom ne croit aujourd'hui à la doctrine des bosses de Gall, l'un des produits les plus étranges de l'imagination humaine. La phrénologie fut une folie épidémique comme celle des tables tournantes.[note]Paul Topinard, L'Homme dans la nature, préface de Nélia Dias, Paris, Jean-Michel Place, 1990 [1891], p. 138. Lacassagne tente bien une fois de présenter officiellement sa théorie, lors du Troisième Congrès international d'anthropologie qui se tint à Bruxelles en 1892, mais, malgré l'absence de ses adversaires italiens, il n'obtient aucun succès.
Les contemporains de Lacassagne apprécient donc peu sa théorie socio-phrénologique, et il est très probable que les rares personnes qui y font allusion en termes conciliants soient motivées par des raisons affectives (Tarde par exemple) et, le plus souvent, stratégiques : attaquer Lacassagne, c'est risquer par contrecoup de renforcer la position de Lombroso.
C'est ainsi que l'on préférait associer le nom du médecin lyonnais à ses aphorismes qui possédaient au moins deux avantages : ils étaient facilement détachables de leur contexte théorique et ils avaient l'incontestable mérite de contenter tout le monde par des lieux communs qui ne suscitèrent aucun débat de fond. L'absence de toute postérité théorique de Lacassagne se comprend mieux lorsque l'on a mis en évidence son attachement à la phrénologie. Sa criminologie se trouvait à la charnière de deux façons d'appréhender la criminalité, radicalement différentes. La première, issue d'un courant qui trouve sa source dans la médecine légale, la psychiatrie et l'anthropologie dans la première moitié du XIXe siècle, fondait ce que l'on appelle de nos jours l'approche « bio-psychologique », qui cherche essentiellement à établir les différences de constitution entre la population honnête et celle des infracteurs. La seconde, forgée par Durkheim dans les années 1890, ancrait la criminologie en totale rupture avec tout apport basé sur la biologie de l'individu.
Pour n'avoir pas voulu choisir entre ces deux courants, la théorie de Lacassagne - qui mélange catégories sociales et biologiques - a été comprimée entre le déterminisme de la dégénérescence (qu'elle mettait à contribution) et le déterminisme sociologique de Durkheim. Cette ambiguïté était constitutive de l'approche lyonnaise. Garraud, co-fondateur des Archives de l'anthropologie criminelle, affirmait dans le premier numéro de la revue la [note]nécessité pour les sciences sociales de s'appuyer sur les sciences naturelles et en 1900, malgré l'influence montante des conceptions durkheimiennes, Lacassagne pensait toujours que c'était « sur les bases de la mathématique, de la physique, de la chimie et de la biologie » que l'on pouvait « tenter d'édifier la sociologie.» [note]Robert Garraud, « Rapports du droit pénal et de la sociologie criminelle », Archives de l'anthropologie criminelle, 1886, p. 10 ; A. Lacassagne, « Société d'anthropologie de Lyon (discours prononcé le 13 janvier 1900) », Archives de l'anthropologie criminelle, 1900, p. 91 (BM Lyon, 135190).
A mi-chemin entre médecine et sociologie, la théorie socio-phrénologique de Lacassagne fut l'une des dernières expressions du moment naturaliste des sciences de l'homme. C'est à ce titre qu'elle doit garder une place dans l'histoire de ces deux disciplines et que l'on peut réaffirmer, 70 ans après le criminologue Léon Vervaeck, que Lacassagne fut avec Lombroso le co-créateur de l'anthropologie criminelle [note]Léon Vervaeck, « Le Professeur Lacassagne », Revue de droit pénal et criminologie, 1924, p. 930..