Sommaire :

    Lacassagne, l'homme-livre

    En consacrant la totalité de ce numéro à Alexandre Lacassagne, Gryphe ne célèbre pas seulement l'un des principaux fondateurs de l'anthropologie criminelle mais aussi l'une des figures emblématiques de ce que fut, à son apogée, à la charnière du 19ème et du 20ème siècle, la culture du livre, pour ne pas dire son culte.

    En effet, à une époque où toute pensée, fut-elle scientifique, se déployait intégralement dans l'univers de l'imprimé (livres, revues, journaux), Lacassagne fut au moins autant un homme-livre, un homme-bibliothèque qu'un expérimentateur soucieux de décrypter avec méthode les indices matériels, de produire des courbes statistiques ou de tester les hypothèses d'une théorie générale de la criminalité par la fréquentation assidue de délinquants.

    Comme le montre magistralement Philippe Artières, dans l'exposition que propose actuellement notre bibliothèque, Le médecin et le criminel, l'oeuvre de Lacassagne et sa vie même se confondent avec une exploration insatiable de tous les usages de l'écrit : depuis l'archivage méticuleux des notes d'expertise et des articles de la presse populaire jusqu'à l'utilisation de cette même presse comme une tribune où l'expert intervient dans les affaires de la cité, en passant par l'édition d'une revue scientifique - qui suscite des réseaux d'influence et fonde une école - mais aussi par la publication de nombreux ouvrages et, bien sûr, par la constitution d'une bibliothèque protéiforme se développant en cercles concentriques autour du savant, telle une concrétion mentale ou un panoptique tentaculaire.

    Le fait qu'Alexandre Lacassagne, sentant sa mort venir, ait souhaité remettre cette bibliothèque à la Ville de Lyon et régler lui-même tous les aspects du transfert prouve à quel point le rapport au livre était pour lui essentiel. Certes, bien d'autres intellectuels de cette époque, surtout lorsqu'ils avaient rang de notables, ont suivi la même démarche. Mais Lacassagne est allé si loin dans son engagement livresque qu'il fait aujourd'hui figure de référence absolue. Il était indispensable que Gryphe, dont l'ambition est de rendre palpables les différents aspects et rouages de la culture du livre, lui rende l'hommage qui convient.