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410                      LA REVUE LYONNAISE

la qualité dominante des poètes et des artistes, on reconnaît qu'il a
dû donner une large prise à la jalousie. Les opinions politiques,
manifestées dans les Pescheries, et qui ne devaient pas être du goût
de tout le monde, font supposer qu'il est allé, plus d'une fois, au
moins dans sa jeunesse, au devant d'inimitiés qui pourraient bien
ensuite l'avoir poursuivi sans relâche. La distinction de son talent et
l'indépendance de son caractère complètent l'explication de ses
malheurs. Ce sont là des torts qu'on ne pardonne pas aisément,
surtout dans les petites villes, à moins qu'ils ne soient compensés par
de rares défauts ou par une modestie encore plus rare.
   Plus tard, sans doute, le caractère et les idées de Christophle
subirent les modifications que le temps et l'expérience apportent
toujours avec eux, et qui sont encore plus marquées chez les per-
sonnes les mieux douées. Il se fit une idée plus juste de la nature
 humaine. Il cessa de lui demander les perfections qu'elle ne peut
 avoir, et reconnut que le mélange de vices et de vertus, qui en forme
en quelque sorte l'essence et le caractère distinctif, est la conséquence
 de la liberté que le Créateur lui a donnée.
   L'expérience et la réflexion le rendirent indulgent pour Fhumaine
faiblesse. Comme il était très versé dans Fétude des anciens, le spec-
tacle disparate que lui offrait la société de son temps dut lui rappeler
cette parole de Platon : « Quand je regarde au fond de mon âme,
je ne sais si j'y aperçois un monstre sauvage, plus hideux que le
serpent Python, ou un animal doux et bienfaisant participant de la
nature de la divinité. » Il comprit que l'indulgence est une des pre-
mières vertus chrétiennes, en méditant la sublime parole du Christ :
« Que celui d'entre vous qui est sans péché jette la première pierre
à cette femme ! » Il reconnut que, si le chrétien doit haïr le crime,
il n'a pas le droit de détester le coupable. La religion et la philoso-
phie élevèrent enfin son âme dans cette région sereine où l'on ne
ressent plus qu'à demi les orages de la terre, et où les perspectives
d'un céleste avenir, répondant à toutes les aspirations de l'âme im-
mortelle, rendent insensibles à ceux qu'on ne peut éviter.
   Cette gradation dans les idées et les sentiments du poète n'est
pas de pure imagination. La lecture de ses ouvrages la marque en