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                          LE SALON DE 1885                          137

à coup sûr, à voir le rire narquois des deux bouffons qui l'accom-
pagnent, la consultation tourne peu au mélancolique. La mise en
scène obligée du vieux sorcier porte d'ailleurs à la gaîté, et il n'y a
pas jusqu'à son singe pelé, jusqu'à sa chouette borgne et à ses
poissons empaillés, qui ne semblent se gaudir par derrière aux dé-
pens de la dame.
   Le Baiser rendu, de M. Benoit MOLIN (422), est une oeuvre puis-
sante. Judas reçoit de Satan le baiser qu'il a donné au Christ. L'épou-
vante de son crime se lit sur sa figure égarée, dans ses yeux dilatés
par la douleur ; il ne sent pas la brûlure des lèvres de Satan, ni ses
ongles qui déchirent sa chair; le souvenir de sa trahison déïcide est
là devant lui, qui l'obsède et l'écrase ; c'est lui seul qui agite ses
membres et brûle son âme. L'expression du remords est rendue par
le peintre avec une force tragique, et l'impression est poignante.
   Je ne m'appesantirai pas sur la Psyché de M. SCOHY (564), de
crainte d'aggraver l'écrasement que, sous prétexte de le secourir,
l'amour est en train de lui faire subir, et pour arriver plus vite à une
autre étude de nu beaucoup plus sérieuse, de Mrae SALLES-WAGNER.
On m'a fait remarquer que ses Baigneuses (553) n'avaient qu'une
chemise pour deux, ce qui n'est pas beaucoup assurément, mais ce
dont je ne leur ferai pas néanmoins un grief, car pauvreté n'est pas
un crime. Je leur reprocherai plutôt de violer trop hardiment par
leur taille les canons de Diodore et de Polyclète, mais, cette critique
faite, je ne puis que louer sans réserves la grâce harmonieuse et
décente de leurs attitudes. Diderot a dit en quelque endroit q uela
peau était l'habit de la nature, et que plus on s'éloignait de ce vête-
ment, plus on péchait contre le goût. Poussé à l'extrême, ce prin-
cipe rétrécirait singulièrement le domaine de l'art, mais pour para-
doxal qu'il soit, il n'en contient pas moins une part de vérité, trop
oubliée peut-être aujourd'hui, et que je félicite Mrae Salles-Wagner
de n'avoir pas méconnue.
  Il ne faut pas, sous prétexte de nu, faire des nudités, comme
M. Gabriel VILLARD, dont les deux intérieurs d'atelier (622-623) n e
sont que des inconvenances ; mais il est certain qu'un peu d'Académie
ne nuirait pas à plus d'un de nos artistes ; à M. David GIRIN, par