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122                  LA REVUE LYONNAISE
profiter. C'est ce qui détermina mon père à me renvoyer en France.
Depuis le départ subit de l'abbé nous vivions dans une autre maison,
chez un homme, nommé Weiss, employé dans la police de la ville.
Nous étions, ainsi que plusieurs de nos camarades, en pension
chez lui pour la table. On lui proposa de me conduire à Paris.
Il se montra disposé à profiter d'une aussi bonne occasion de voir
la grande ville, sans qu'il lui en coûtât rien, de plus avec la pers-
pective d'un salaire pour sa peine. J'éprouvai beaucoup de chagrin
à me séparer de mon frère ; mais le plaisir de changer de place et
de revoir des lieux et des objets que mon absence, de plus de deux
ans, rendait nouveaux pour moi, adoucit cette pénible séparation ;
d'autant plus que j'étais loin de prévoir combien elle serait longue.
Je partis donc avec mon surveillant, et nous gagnâmes Strasbourg.
Arrivés à cette frontière delà France, le mouvement qui y régnait,
et qui contrastait tellement avec le régime paisible d'une ville d'Alle-
magne, la turbulence grossière des allures et du langage, tout cela
me frappa assez pour que je ne l'aie pas oublié. Nous prîmes la
diligence de Strasbourg à Paris. Je fus intrigué d'abord en voyant
 deux espèces d'effrontées s'emparer du cabriolet de devant. Elles
portaient des chapeaux à haute forme, des habits qui avaient la
coupe masculine ; avec des jupes cependant, et le sabre au côté.
Je n'ai pu comprendre, jusqu'à présent, si c'étaient des vivandières
 ou des volontaires en jupons; car il y en eut plusieurs exemples
 à cette époque de dévergondage dont le type était la trop fameuse
 Théroyne de Méricourt. C'était après la retraite des Prussiens en
 Champagne, et la première victoire de Dumouriez. On touchait
 cependant au moment où ce général allait être déclaré traître et
 mis hors la loi ; mais ce moment n'était pas encore venu, car
j'entendis réciter ou fredonner dans la diligence des couplets à la
 louange de ce général, alors regardé comme un héros. Nous étions
 assez entassés dans l'intérieur de ce véhicule; je me rappelle y
 avoir vu une demoiselle fort modeste, dont le nom même était plus
 aristocratique que la circonstance ne le supposait, et qui m'avait
 bien l'air de revenir aussi d'émigration. Elle était accompagnée
 d'une autre femme plus âgée ; et si elles étaient ce que j'ai présumé,
 elles devaient souffrir des propos grivois d'une couple d'officiers
 de la nation, comme on disait alors, qui se rendaient sans doute Ã