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SOUVENIRS DU COMTE ARMAND DE S A I N T - P R I E S T 121 charmante femme alors et fort à la mode. Elle avait deux fils, à peu près de mon âge, que j'ai eus plus tard pour collègues à la Chambre des pairs. Une amie de Mme de Rougé s'y trouvait aussi, Mme de Parny, de moins bonne noblesse, mais fort belle personne. Elle était femme de ce M. de Parny, homme de peu, connu pour ses intrigues et ses prétentions mal fondées à passer pour homme de lettres. Ces deux dames étaient intimement liées, si bien qu'elles se firent peindre dans le même tableau par Mmc Lebrun. C'est un de ses bons ouvrages. Je nommerai aussi la marquise de Vassé, fille du comte de Broglie, frère cadet du maréchal et qui fut fort employé dans les affaires souveraines de Louis XV. Elle avait deux filles charmantes. Je les vois encore, d'ici, à un bal que donnait leur mère ; leurs robes étaient garnies de bluets cueillis par elles-mêmes dans les champs, ce qui les parait autant que les plus élégantes garnitures de la fameuse mademoiselle Bertin. Je me souviens de l'effet que pro- duisit, dans cette colonie, la nouvelle de l'arrestation de Louis XVI et de la famille royale à Varennes. Cela pouvait rappeler les Désolations à la prise de Jérusalem. L'abbé me quitta à la fin de 1792 ; son départ fut si subit qu'on doit penser qu'il s'y était joint quelques complications. Je fus ainsi laissé seul, à dix ans que j'avais alors; il faut dire cependant que le retour fortuit de mon frère avait dû être escompté par mon père ; la première campagne de l'armée de Condé étant terminée. Le séjour de Heidelberg commençait à n'être plus aussi sûr pour la colonie d'émigration. La prise de Mayence, pai* les armées de la nouvelle République française,en 1792, était un avertissement; et déjà on avait eu plus d'une alerte dans la capitale du Palatinat. On pensait déjà dans les diverses familles, à se porter plus au centre de l'Allemagne, lorsque, pour mon frère et moi, une circonstance nouvelle, détermina bientôt nos situations respectives, ainsi que notre avenir. Un décret de la Convention nationale portait, qu'on rappelait en France les enfants d'émigrés au-dessous de quatorze ans, promettant, en même temps, que leur part des biens de leurs parents, déjà mis sous séquestre, leur seraient rendus. Ce décret n'était pas applicable à mon frère qui avait déjà plus de dix-sept ans. Pour moi qui en avais seulement onze, on me jugea apte à en