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120 LA REVUE LYOïNNAISE Il n'était pas non plus dans les principes d'alors que les enfants pussent parler familièrement à leurs parents ; bien qu'on ne les appelât déjà plus comme autrefois, en les abordant : monsieur et madame. L'éducation du fils d'un ministre, sous l'ancien régime, offrait une perspective de fortune presque assurée à celui qui en était chargé; surtout s'il était ecclésiastique; car on pouvait recourir à la feuille des bénéfices, et déjà notre abbé en avait fait l'heureux essai. Mon père avait obtenu pour lui le prieuré de Madrid, château bâti par François I er , dans le bois de Boulogne, en souvenir de sa captivité dans la capitale de l'Espagne. Chaque membre de la mai- son royale avait sa chapelle et un prêtre pour la desservir. L'abbé n'était tenu qu'à y aller dire la messe le dimanche et les jours de grandes fêtes, et cette fondation était rétribuée convenablement. Je ne pense pas, toutefois, que celle de prieur de Madrid le lût beaucoup ; mais ce n'était là qu'un début, du moins l'abbé s'en flattait-il. Quant à mon frère, plus âgé, plus raisonnable et plus studieux que moi, il suivait de lui-même les cours de l'Université, sans que le pédagogue s'en mêlât. D'ailleurs il interrompit bientôt ses études pour faire, dans l'armée deCondé, la campagne de 1792. L'abbé n'eut plus alors à s'occuper que de moi seul; ce qu'il faisait de la manière que je viens d'indiquer. Il me menait, de plus, tous les jours faire une promenade hors des portes de Heidelberg où l'on rencontre à chaque pas des sites ravissants. Nous nous réunissions, pour cela, avec des jeunes gens, tous enfants d'émigrés. Nos précepteurs respectifs, la plupart aussi abbés, marchaient en avant; nous les suivions sans beaucoup d'ordre, folâtrant à droite et à gauche; c'était notre meilleur temps. Heidelberg était un des rendez-vous d'émigration les plus fré- quentés à cette époque. La beauté du pays, la vie peu coûteuse, la proximité de la France, et l'Université concouraient à y attirer. Je me souviens de plusieurs des plus importantes familles fran- çaises qui s'y étaient établies. Les jolies figures de quelques-unes de nos dames et de leurs filles m'en ont fait conserver la mémoire plus encore que leurs noms illustres pour la plupart. La vieille duchesse de Mortemart y était avec la marquise de Rougé, sa tille,