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368                         BIBLIOGRAPHIE

 embroché au canon du fusil, les marmites, les bidons, les gamelles en
 sautoir. Bientôt, une avalanche des objets les plus divers ne tarda pas
 à marquer le passage de la colonne. Les chargements, si laborieuse-
 ment construits, s'égrenaient au bout d'un kilomètre de route. Malheur
 à la gamelle qui tombait ! Des simulacres de partie de ballon s'organi-
 saient dans les rangs tapageurs. Des centaines de pieds se disputaient
 le récipient d'étain. A peine avait-il le temps de toucher terre, qu'il
 rebondissait soudain sous une nouvelle impulsion. Après quelques
 secondes de locomotion aérienne, il s'abattait sur un képi, ou jetait le
 désarroi dans une file, qui se ruait tout entière sur l'intrus, en lui
 imprimant derechef un énergique élan.
    « Le tombeau du maréchal de Castellane, dont la mémoire est
 demeurée légendaire dans la région lyonnaise, était situé sur le bord
de la route que nous suivions, route connue sous le nom de : Montée
des Soldats. Il fut salué au passage de bruyants hurrahs, accompagnés
d'épithètes plus ou moins respectueuses. Les sentinelles de pierre, qui
montent une éternelle faction devant le mausolée, se détachaient toutes
blanches dans l'ombre. Immobiles en leur rigidité de statues, elles
regardèrent impassibles défiler ce « troupeau de moutons. » Seuls les
mânes du vieux guerrier durent tressaillir dans leur tombe au bruit de
ce cliquetis d'armes, qui évoquait les gloires du passé en face des tris-
tesses du présent.
    « Bientôt la vision disparut dans un nuage de poussière. Et, brus-
quement, en vertu de la loi mystérieuse qui préside à l'association des
idées, ma pensée se reporta aux jours de mon enfance. Je revis le vieux
maréchal, cassé, noué, constellé de décorations, branlant le chef, dans
le salon de ma mère, à l'époque de sa visite annuelle, aux environs du
I er janvier. Il restait quelques minutes agitant ses longues jambes au
coin de la cheminée, débitait un madrigal, tirait de ses poches bourrées
de bonbons, un bâton de sucre de pomme, qu'il m'offrait, en accom-
pagnant son cadeau d'une tape amicale sur la joue, puis partait en se
dandinant. Cette visite était pour moi un événement attendu avec une
impatience fébrile. Comme il était loin ce temps-là 1 Le bambin avide
de friandises était maintenant un conscrit marchant à la défense du
territoire envahi ! »
    Le départ ayant été annoncé depuis plusieurs jours, la gare de Vaise
était envahie par une foule sympathique, venue pour dire un dernier
adieu aux pauvres moUols, et les munir de provisions de route. A minuit