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ORGUEIL I47 tout le gibier du pays! Quelques jours avant la Noël de 1450, il aperçut MM. les Anglais chassant sur l'autre rive en temps de neige, et le digne homme eut mal au cœur en songeant à tous les pauvres lièvres qu'allaient exterminer ces félons; alors il se jura sa foi de preux chevalier que, dans quinze jours, ceux-là ne chasseraient plus sur la terre de France. « Rentré chez lui, il songea longuement aux moyens de s'emparer du fort. Il ne disposait que d'une poignée d'hom- mes et n'osait pas trop compter sur les gens du pays, parce que, — vous le savez aussi, Monsieur, —nous autres pay- sans attachés à la terre, sans être précisément poltrons, nous aimons notre tranquillité et, depuis trois cents ans, on avait eu le temps de s'habituer aux cheveux rouges de ces man- geurs de bœuf; aussi les laissions-nous en paix tant qu'ils ne nous cherchaient pas noise. « Le baron ne comptait donc que sur lui et sur ses gens d'armes. « Longtemps il se tourna et se retourna sur le lit où il s'était jeté tout habillé. Les nuits d'hiver sont longues ; aussi, vers les trois heures du matin, n'y tenant plus, d'un bond il sauta à terre comme un jeune homme et alla ré- veiller son piqueur. Le digne baron se frottait les mains et sa figure était toute épanouie. Le piqueur vit ainsi tout de suite que son seigneur avait une idée ; il ouvrit les oreilles et les yeux tout grands, pendant qu'on lui parlait ainsi : « — Ecoute, Durand, — je dois ajouter, sans fausse mo- destie, que ledit Durand était au moins le père du père de l'aïeul de mon grand-père, ce qui nous mène un peu loin; — ça, Durand, mon gars, es-tu toujours bien avec la femme de ce grand poil rouge de la garnison qui tue tous mes liè- vres et qui vient chasser sur nos terres pendant que tu chasses sur les siennes !