Jésuites et dictionnaires

Promenades lexicographiques parmi les volumes de la Collection des Fontaines

Les ouvrages regroupés dans le fichier de la Collection jésuite des Fontaines [note]Déposée en 1998 à la Bibliothèque municipale de Lyon par la Compagnie de Jésus, la Collection des Fontaines regroupe environ 500 000 documents. sous l'intitulé « dictionnaire / dictionaire ou dictionarium » correspondent à plus de trois cents fiches, auxquelles il faut ajouter celles qui se trouvent sous des entrées comme « lexicon / lexikon / lexique ; vocabulaire / vocabularium / vocabulario ; glossaire / glossarium ; index / indiculus ; thesaurus / thresor / tesoro », sans compter les textes lexicographiques masqués sous d'autres dénominations moins explicites, comme « concordance », « inventaire », « traité » ou « recueil ». Les intitulés des dictionnaires référencés montrent que les sujets en sont extrêmement diversifiés, associant bon nombre de dictionnaires parus ces dernières décennies et concernant une grande variété de sujets, avec de très nombreux ouvrages plurilingues, notamment bilingues, modernes et anciens, témoins manifestes de l'intérêt porté par l'ordre jésuite, non seulement à l'enseignement des langues anciennes, mais aussi aux civilisations étrangères dans le cadre de leurs missions lointaines.

L'intérêt d'une étude bibliographique thématique portant sur un fonds défini tel que celui des Fontaines, dont l'historique reste succinct, est de contribuer à formuler des questions, à défaut de proposer des solutions certaines, pour une meilleure connaissance du fonds à partir de premiers constats. Ainsi, par l'appréciation de la logique interne de la collection d'ouvrages présents ou absents, de séries éditoriales plus ou moins bien représentées, est-on conduit à s'interroger sur les modalités de constitution, d'enrichissement et de déplacement des collections, que peuvent confirmer, outre les signatures, parfois des notes manuscrites, et surtout les ex-libris qui, seuls, permettent de suivre à la trace les itinéraires de livres voués au voyage après les lois d'expulsion de 1880. Par exemple, on vérifie sur nombre d'exemplaires de dictionnaires du fonds la présence conjointe de deux ou trois ex-libris, outre celui de Chantilly, en particulier ceux des Maisons de Laval (déplacée à Jersey dès 1880), de Poitiers, de Sainte-Geneviève à Paris, de Saint-Augustin à Enghien, associés à ceux de la Maison Saint-Louis de Jersey où ont été réunis les différents fonds destinés à être installés à Chantilly en 1951.

Parmi le vaste ensemble des dictionnaires anciens qui nous intéresse ici, glossaires, index et vocabulaires monolingues ou plurilingues (plusieurs dictionnaires sont enregistrés dans le fichier sans précision de la date ou du lieu d'édition), on soulignera d'abord la présence de dictionnaires du XVIe siècle, tel le Dictionum graecarum Thesaurus daté de 1510, ou le Dictionarium latinis, gallicis, et germanicis vocabulis imprimé en 1527 à Strasbourg ; les publications de la famille d'imprimeurs parisiens Estienne y sont bien représentées. Les ouvrages bilingues ne sont pas limités aux seules langues anciennes comme on pourrait le penser en trouvant par exemple le Dictionarium latino-græcum dans l'édition de 1554, ou le Dictionarium Latino-Gallicum (1571) : ils sont largement ouverts aux langues étrangères, du tamoul au breton, avec entre autres le Dictionnaire Breton-Français de J. François Le Gonidec, précédé d'une Grammaire bretonne par Th. Hersart de la Villemarqué, paru à Saint-Brieuc en 1850. On notera en revanche peu de dictionnaires étrangers monolingues, à l'exception de trois éditions anciennes du Vocabulario degli Academici della Crusca.

"Dictionnaire des termes propres à l'architecture" dans Des principes de l'architecture, de la sculpture, de la peinture [...] par Jean-François Felibien des Avaux Paris, Coignard, 1676 (BM Lyon, coll. jésuite des Fontaines, AK 205/77)

De fait, la variété des langues représentées dans le fonds des ouvrages lexicographiques (et plus largement grammaticaux) s'accompagne d'une grande diversité des sujets concernés par les différents dictionnaires ainsi réunis, et ce, indépendamment des principaux domaines de la religion, de la philosophie et des lettres anciennes. Ainsi, trouvera-t-on de nombreux dictionnaires géographiques, dont le Dictionnaire géographique contenant la situation et l'étendue des Etats, Empires, Royaumes, avec une table (Rouen, 1704) et d'histoire. Bien sûr, l'histoire ancienne domine, mais celle de pays étrangers est aussi représentée avec, par exemple, le Dictionnaire historique et portatif de l'Italie (Humblot, 1777), souvent d'ailleurs en relation de complémentarité avec des dictionnaires bilingues, comme on le note pour les Pays-Bas avec Jean Des Roches, auteur d'une Histoire ancienne des Pays-Bas publiée en 1782 à Bruxelles et d'un Dictionnaire françois-flamand dans une nouvelle édition parue à Anvers en 1812.

Petits formats

A propos des dictionnaires concernant la mythologie, la jurisprudence, l'art poétique et les rimes, on soulignera ce qui nous semble être une caractéristique du fonds : le nombre relativement important d'ouvrages de petit format que confirment des intitulés tels que ceux du Dictionnaire portatif de mythologie, pour l'intelligence des poètes, de l'histoire fabuleuse, des monuments historiques, des bas-reliefs, des tableaux... dans l'édition revue et corrigée par François Richer, in-12 paru à Paris en 1765 ; du Dictionnaire portatif de jurisprudence et de pratique... contenant les dispositions et déclarations du Roi, trois volumes in-8 parus à Paris en 1763 ; ou encore du Dictionnaire lyrique portatif, ou choix des plus jolies ariettes de tous les genres disposées pour la voix et les instruments, avec les paroles françaises sous la musique, recueillies et mises en ordre par M. Dubreuil, in-8 édité à Paris, chez Didot, en 1771. Sans compter six éditions différentes du Dictionnaire de Rimes de Richelet. On peut donc penser que le nombre important d'ouvrages de petit format est une particularité liée aux déplacements des jésuites, ce qu'on mettra aussi en relation avec les tirages en format in-quarto de certains dictionnaires comme les retirages et contrefaçons du Dictionnaire de l'Académie française au XVIIIe siècle, de coût moins élevé et de diffusion plus aisée.

Au nombre des autres sujets signalons encore, à côté des sciences morales, économiques, politiques [note]Représentées par le Dictionnaire social et patriotique ou Précis raisonné de connaissances relatives à l'économie morale, civile et politique de Le Fevre de Beauvray (Amsterdam, 1770, in-16), et le Dictionnaire universel des sciences morales, économiques, politiques et diplomatiques (Londres, 30 vol., 1777-1783)., la présence de dictionnaires d'architecture et de peinture, avec le très bel ouvrage de Felibien des Avaux, Des principes de l'architecture, de la sculpture, de la peinture et des autres arts qui en dépendent, dans la première édition donnée à Paris en 1676, dont la cinquième partie est un Dictionnaire des termes propres de peinture.

Comme exemple de diversité particulière, on ne manquera pas de sourire en trouvant à quelques fiches d'intervalle le Dictionnaire portatif des femmes célèbres contenant l'histoire des femmes savantes, des actrices, & généralement des Dames qui se sont rendues fameuses dans tous les siècles par leurs aventures, les talens, l'esprit et le courage, nouvelle édition parisienne de 1788, revue et considérablement augmentée, regroupant plus de 3 000 articles en 2 tomes [note] On lira dans l'Avertissement que [le Lecteur] y verra des femmes guerrières & courageuses, des reines et des princesses, des sçavantes [...], des mères [...], des épouses [...] : mille autres femmes enfin, illustres par une piété rare & solide, à qui l'Eglise ou l'estime publique rend de justes honneurs. , ouvrage suivi de peu par le Dictionnaire portatif des cas de conscience, nouvelle édition augmentée de tous les cas résolus par le pape Benoît XIV, oeuvre en 2 volumes de François Morenas, parue à Lyon en 1759, puis, dans un genre tout à fait différent, des éditions et rééditions de l'ouvrage en deux volumes de Honoré Lacombe de Prezel, paru à Paris en 1768 et intitulé Dictionnaire d'anecdotes, de traits singuliers et caractéristiques, historiettes, bons mots, naïvetés, saillies, réparties ingénieuses... On soulignera encore, comme indice de variété des sujets concernés, la présence du Dictionnaire historique des moeurs, usages et coutumes des françois (1767), et du Dictionnaire historique et critique ou recherches sur la vie, le caractère, les moeurs... de plusieurs hommes célèbres ; tirés des dictionnaires de Mrs Bayle et Chaufepié, par l'abbé de Bonnegarde (1781), et celle d'un ouvrage aux connotations particulières, celui de Pierre Pierrugues, Glossarium eroticum linguæ latinæ (1826).

Parmi la quantité impressionnante d'ouvrages lexicographiques, ou présentés comme tels, consacrés à la religion ou à la Bible, on doit souligner la place relativement importante accordée aux auteurs de la Compagnie de Jésus : il sera intéressant d'en définir la proportion par rapport aux autres auteurs, laïcs ou appartenant à d'autres congrégations, quand le fichier aura été entièrement informatisé. En témoignent, par exemple, les différentes éditions de l'ouvrage de l'abbé Claude Nonnotte, s. j., dont on appréciera les variantes d'intitulés, le Dictionnaire philosophique de la religion où l'on établit tous les points de la religion, attaqués par les incrédules, & où l'on répond à toutes leurs objections. Par l'auteur des Erreurs de Voltaire, 2 tomes reliés en 1 volume (1773), ainsi que le Dictionnaire de la religion en réponse aux objections des incrédules sur tous les points qu'ils attaquent (1818-1819). La variété des ex-libris, outre ceux de Jersey et Chantilly, ceux des Maisons d'Enghien pour le premier, de Poitiers pour le deuxième et de Laval pour le troisième, montre la diversité des provenances et fournit donc un indice de l'appréciation de l'ouvrage au sein de l'ordre...

Reste le domaine de l'enseignement des langues anciennes et de la langue française qui constitue une partie non négligeable de la collection de dictionnaires, avec un ensemble assez diversifié, une nette dominante d'ouvrages publiés au XVIIIe siècle, et curieusement de grands absents, tel le Dictionnaire général et curieux, contenant les principaux mots et les plus usitez en la langue françoise de César de Rochefort, imprimé à Lyon en 1685, et en partie destiné aux religieux, en particulier aux prêtres. A la lecture de l'article consacré à l'éloge des jésuites, il est aisé de comprendre que Rochefort n'en était pas et qu'il n'appréciait guère la congrégation en affectant de ne pas s'y intéresser. Du hasard de l'enrichissement des collections, des dons, ou le reflet de choix implicites ?

Page de titre du Dictionnaire portatif des cas de conscience par François Morenas Lyon, Jean-Marie Bruyset, 1789 (BM Lyon, coll. jésuite des Fontaines, M 49/6a)

On ne se laissera pas abuser par les apparences trompeuses d'intitulés abrégés d'ouvrages, tel le Dictionnaire Roman, Wallon, Celtique et Tudesque de Dom Jean François (1777) qui, loin d'être un véritable texte quadrilingue, s'inscrit dans l'histoire des dictionnaires de l'ancienne langue française. S'il n'est pas dénué d'intérêt de relever la présence du Dictionnaire des Précieuses de Saumaize, même dans une édition tardive, celle qui fut augmentée par Livet en 1856, on sera surtout attentif à la représentation des canons de la lexicographie française des XVIIe et XVIIIe siècles [note]Le XIXe siècle est bien représenté, avec entre autres les dictionnaires de Littré, de Larousse, de Nodier, de Boiste (Dictionnaire universel de la langue française, 8e édition de 1836) et de Bescherelle (5e édition du Dictionnaire national ou dictionnaire universel de la langue française, 1857)., aux « incontournables » dictionnaires de Jean Nicot, de Richelet, de Furetière, de Ménage, de Corneille, de l'Académie française, de Trévoux... Sans oublier quelques dictionnaires techniques spécialisés, quoique peu nombreux pour certains domaines si l'on se fonde sur l'exemple de la marine, des dictionnaires universels ou encyclopédiques comme le Dictionnaire raisonné des sciences, des arts et des métiers de Diderot et d'Alembert, en 35 volumes.

De Richelet à Ménage

La présence du nom de César-Pierre Richelet dans le fonds est légitime au regard de l'importance de cet auteur dans l'histoire des premiers dictionnaires généraux de la langue française : il fut le premier auteur, avant la parution du Dictionnaire de l'Académie française (1694) à avoir produit en 1679-1680 un dictionnaire de la langue française enrichi de citations littéraires ; en revanche on sera surpris de ne pas trouver d'exemplaire des premières éditions de son Dictionnaire François, mais seulement trois éditions réalisées au XVIIIe siècle, dont deux au format d'un dictionnaire portatif, détail dont on a évoqué l'importance. On soulignera ici que l'édition du Dictionnaire de la langue françoise ancienne et moderne, avec les observations de critique, de grammaire et d'histoire, imprimé à Lyon, chez Aimé Delaroche, en 1758, est présentée dans l'avertissement comme purgée sans ménagement [de] toutes ces obscénités que Richelet avoient [sic] répandues dans les premières éditions de son Livre & dont les Editeurs avoient encore épargné une partie, et que le système graphique choisi en conformité avec l'orthographe de Richelet qualifiée de « très-vicieuse », est compensé par la présence entre parenthèses de l' orthographe du célèbre Dictionnaire de l'Académie Françoise.

On sera d'autre part surpris de constater que le fonds des Fontaines rassemble en revanche six éditions différentes du Dictionnaire de rimes et deux de son ouvrage Les Plus Belles Lettres françaises sur toutes sortes de sujets... la troisième (1705) et la septième (1747). On notera enfin, comme témoin du rayonnement de cet auteur en Europe, un bel exemple de dictionnaire bilingue, Le Grand Dictionnaire François et Flamand formé sur celui de Mr Pierre Richelet / Het Groot Woordenboek der Nederlandsche en Fransche Taelen, 2 volumes parus à Bruxelles en 1764-1765 [note]Il s'agit de la quatrième édition revue, corrigée et augmentée près de la moitié. A noter aussi, par rapport à l'actualité métalexicographique, la présence dans le fonds de la thèse de Laurent Bray (Niemeyer, 1986) consacrée à Richelet.. De fait, les dictionnaires bilingues présentent souvent l'intérêt d'une nomenclature dont la valeur est recommandée par des références à de grands ouvrages prestigieux : ainsi le Dictionnaire royal de Boyer (La Haye, 1702), qui associe textes lexicographiques et textes grammaticaux, dont le fonds possède plusieurs exemplaires dans des éditions différentes.

La Collection des Fontaines réunit l'essentiel des oeuvres linguistiques pour la langue française du grammairien et lexicographe Gilles Ménage, alors que ses travaux sur la langue italienne ne sont pas représentés dans le fonds. Ainsi trouve-t-on l'ensemble des éditions de son fameux dictionnaire étymologique paru à Paris en 1650, Les Origines de la langue françoise, ainsi que son Dictionaire étymologique de la langue françoise, nouvelle édition revue et augmentée par l'auteur avec les origines françoises de Mr de Caseneuve, un discours sur la science des étymologies par le P. Besnier, de la Compagnie de Jésus, & une liste des noms de saints... par Mr l'abbé Chastelain, chanoine de l'Eglise de Paris (Paris, 1694), y compris la réédition du XVIIIe siècle, donnée par Jault en 1750, enrichie de nombreux ajouts, dont ceux de Le Duchat et Du Vergy.

Page de titre du Dictionnaire philosophique de la religion par Claude-François Nonnotte s.l., 1773 (BM LYON, coll.jésuites des Fontaines, TH 341/11)

Si le lexicographe était bien reconnu par les jésuites, le grammairien l'était également, comme le montrent les exemplaires des deux éditions successives de ses Observations sur la langue françoise, parues à Paris, chez Barbin, en 1672 et en 1675-1676. Si la concurrence en nombre d'exemplaires peut paraître rude face aux Remarques sur la langue françoise de Vaugelas dont est conservée une dizaine d'exemplaires, c'est sans doute en raison de la diffusion de cet ouvrage pour l'enseignement, mais aussi du fait du nombre important d'auteurs qui commentent le livre, indirectement comme Ménage dans ses Observations, ou plus explicitement dans les intitulés, comme c'est le cas pour Thomas Corneille et l'Académie française, dont les dictionnaires figurent aussi dans la Collection des Fontaines.

Entre série officielle et contrefaçons ou éditions parallèles, le Dictionnaire de l'Académie française est assez bien représenté dans le fonds, surtout pour les éditions post-révolutionnaires. L'exemplaire de la première édition de 1694 porte des marques d'humidité et s'avère assez endommagé : non seulement la page de titre du premier tome est arrachée, mais manquent également la gravure du frontispice et la première page de l'Epistre au Roy. Figurent ensuite la contrefaçon de la quatrième édition officielle de 1762, donnée avec l'indication de Pierre Beaume à Nîmes et la date de 1778, les éditions de 1800-1801, parues à Berlin, avec la traduction allemande de Catel, l'édition de l'an X (Paris, 1802), vantant l'ajout de plus de 20 000 articles, puis les derniers exemplaires de la série officielle avec les éditions de 1835 (la sixième), accompagnée du Complément dans l'impression de 1842, de 1879 (la septième) et de 1932-1935 (la huitième).

Si l'académicien Thomas Corneille, rédacteur actif du Dictionnaire de l'Académie et auteur du Dictionnaire des arts et des sciences paru en 1694, ne figure dans le fichier que pour son Dictionnaire universel géographique et historique contenant la description des royaumes, empires, états, provinces... (Paris, 1708), on vérifiera à « l'entrée » Vaugelas que son édition des Notes sur les Remarques de Vaugelas donnée en 1687 fait bien partie de la collection, même de façon incomplète, puisque nous n'avons trouvé en rayon que le premier tome alors que l'ouvrage en comprend deux.

Entre le Dictionnaire universel du catholique Antoine Furetière paru en 1690 et la première édition du Dictionnaire universel françois & latin dit de Trévoux (1704), il y eut l'édition réalisée en 1701 par le protestant Basnage. Ce ne fut pas une banale reprise du Furetière, du fait des modifications du contenu de certains articles. Or l'exemplaire en trois volumes du fonds jésuite, qui porte sur le dos de la reliure l'indication « Dictionnaire de M. Furetière », n'est que la réédition ou seconde édition - d'aucuns ont parlé de contrefaçon - par Basnage de Bauval, donnée à La Haye et Rotterdam chez Arnoud et Reinier Leers, en 1701. L'exemplaire, en très bon état, ne porte pas d'annotations marginales critiques comme on aurait pu l'espérer ou même s'y attendre. On connaît la portée idéologique et les implications religieuses de cet ouvrage, qui ont conduit les jésuites à produire une autre reprise du Furetière, conforme au dogme catholique, pour lutter contre le venin de l'hérésie.

Les Mémoires de Trévoux

Annoncée dès 1701 dans le premier numéro des Mémoires de Trévoux, effective en 1704, l'édition du Dictionnaire universel françois & latin s'imposera sous la dénomination abrégée de Dictionnaire de Trévoux. Sans rentrer dans le détail de l'histoire complexe de cet ouvrage qui a vécu longtemps avec la réputation de « dictionnaire jésuite », il faut souligner que se cache sous son intitulé une récupération du Dictionnaire universel de Furetière-Basnage née à l'initiative des jésuites, soucieux de « recatholiciser » l'ouvrage, tout en profitant des avantages matériels d'un réel succès de librairie. Cependant, cette entreprise leur échappa ensuite, du fait de la participation d'auteurs appartenant à d'autres congrégations religieuses que celle des jésuites, et ce, dès la première édition donnée en 1704. L'ajout du latin dans l'intitulé qui laissait supposer un dictionnaire bilingue présentait, outre l'avantage de masquer la piraterie lexicographique, celui de répondre à l'attente du public des collèges et des étrangers désirant apprendre la langue française via le latin comme l'explique le texte des préfaces. Il est curieux de constater qu'un seul exemplaire de ce dictionnaire est présent dans le fonds, recensé « en 6 tomes et deux suppléments (1738-1752), Nancy, Antoine ». Il s'agit d'un exemplaire hybride associant l'édition nancéienne éditée de 1738 à 1742 et le tirage du Supplément de 1752 en deux volumes. Nous avons montré pour l'édition de 1738-1742, réalisée à Nancy, alors hors du royaume de France, qu'il ne s'agissait pas d'une contrefaçon de la troisième édition officielle donnée en 1732, mais d'une édition à part entière, en dépit de sa non-reconnaissance officielle par les libraires parisiens qui ont donné leur officielle quatrième édition en 1743, en 6 volumes également, sans ignorer totalement d'ailleurs les ajouts de leur concurrent.

Reste pour le XVIIIe siècle un Dictionnaire critique de langue française, peu connu, émanant d'un père jésuite, l'abbé Féraud, à qui l'on impute aussi le travail de révision et d'édition de deux traités présents dans le fonds des Fontaines, le Traité des tentations, ouvrage posthume du père Michel, revu et publié par un membre de la même compagnie (1840), et le Traité du découragement dans les voies de la piété (1840).

Page de titre du Thrésor de la langue française, tant ancienne que moderne par Jean Nicot Paris, Douceur, 1616. (BM Lyon, cool. jésuite des Fontaines, BC 201/1)

On soulignera cependant, à propos de ces exemples, la complémentarité remarquable du fonds des Fontaines avec celui du fonds ancien de la Bibliothèque municipale de Lyon qui conserve bon nombre d'ouvrages lexicographiques et grammaticaux émanant de pères jésuites, souvent d'ailleurs imprimés à Lyon. Outre le fait que les provenances de la moitié nord de la France et de la Belgique dominent dans la constitution du fonds des Fontaines, son caractère pluridisciplinaire inscrit dans la tradition encyclopédiste des jésuites visant à ce que toutes les disciplines de la connaissance soient représentées dans une bibliothèque, rend difficile la représentation absolue d'un domaine comme celui de la lexicographie liée à l'enseignement des humanités et ouverte sur la pluridisciplinarité.

En revanche, une étude visant à caractériser un fonds, même limitée à une thématique, permet de mieux cerner au moins une parcelle de l'identité de collections, trop souvent méconnues, laissées dans l'ombre de mémoires ponctuelles ou le silence de fichiers qui conservent, tels un trésor, les principes de logiques délicates à reconstruire, mais passionnantes à entrevoir.