Profane ou sacrée

La musique à Lyon au XVIIe siècle à travers éditeurs, libraires et collections

Comme d'autres arts, la musique a contribué à la splendeur de la Renaissance lyonnaise. Sans revenir longuement sur cette époque, qui a été développée dans trois ouvrages [note]Samuel Fr. Pogue, Jacques Moderne, Lyons printer of music, Genève, Droz, 1969 ; Laurent Guillo, Les Editions musicales de la Renaissance lyonnaise, Paris, Klincksieck, 1991 ; Frank Dobbins, Music in Renaissance Lyons, Oxford, Clarendon Press, 1992., nous rappellerons seulement que de nombreux musiciens de premier ou de second plan ont exercé leurs talents dans cette ville, tels Francesco Layolle, Henry Fresneau, Dominique Phinot, Philibert Jambe-de-Fer, Didier Lupi Second, François Roussel, Pierre Sandrin, Giovanni Paolo Paladino, Simon Gorlier, Michel Ferrier, Pierre de La Farge ou Gabriel Coste.

De nombreux musiciens locaux y sont recensés (hautbois, violons, trompettes...), employés à l'occasion dans des entrées royales fastueuses. L'édition musicale y est très active avec plus de 150 éditions publiées ; il en est de même pour la facture instrumentale (avec le fameux Gaspard Duiffoproucart pour les violes ou les luths et Claude Rafi pour les flûtes). La colonie florentine entretient dans l'église de Notre-Dame de Confort (église des Jacobins) une musique avec orgue et chapelle ; elle est également à l'origine de la publication de plusieurs recueils de messes, motets ou cantiques. Par ailleurs, un mécénat bourgeois et marchand, souvent protestant, soutient les musiciens sur place et accueille les maîtres de passage.

Cependant, la primatiale Saint-Jean s'interdit toute musique polyphonique, se limitant au plain-chant, et impose cette règle aux églises placées sous sa tutelle. Cette situation prive les musiciens d'un certain nombre de postes stables, et les empêche probablement de s'établir à long terme. Raison vraisemblable pour laquelle Jean de Castro, Jean de Maletty ou Regolo Vecoli ne semblent que passer à Lyon... Même si des marchés d'orgues attestent une pratique musicale dans des églises comme Saint-Nizier, Saint-Paul et dans les chapelles des Augustins de la Charité, de l'Hôtel-Dieu ou des Cordeliers de Saint-Bonaventure, l'importance de ces pratiques reste impossible à apprécier car la presque totalité de leurs archives a disparu. On serait tenté de croire que cette soi-disant splendeur ne fut pas le fruit de pratiques très enracinées, mais seulement la conséquence naturelle de la floraison humaniste et artistique qui caractérisait la ville à cette époque. L'absence d'université et de parlement étaient des facteurs aggravants, dans la mesure où la ville était privée de toute une population de gens de robe, de savants et de bourgeois, plus susceptible que d'autres d'entretenir ou de susciter une pratique musicale privée.

Au XVIIe siècle, la situation est tout autre. La pratique musicale privée et institutionnelle semble tombée en léthargie, tandis que l'édition musicale est quasiment éteinte. Les documents qui permettraient de les apprécier à leur juste réalité n'ont pas été beaucoup exploités et presqu'aucune étude n'est consacrée à cette période mal connue. Ce n'est qu'à la fin du siècle, avec l'établissement de l'Opéra en 1688 et de l'Académie du Concert en 1713, que réapparaissent les signes concrets d'une pratique musicale intense, qui nous ont été restitués dès les années 1900-1930 par les puissants travaux de Léon Vallas [note]Léon Vallas, Un siècle de musique et de théâtre à Lyon, 1688-1789, Lyon, 1932.. Pourtant, ce XVIIe siècle lyonnais commence à éveiller l'intérêt des musicologues. Sa musique fait l'objet d'une redécouverte continue et les diverses connexions pouvant être établies entre Lyon, Paris et d'autres villes de France ou de l'étranger (les travaux de Vincent Pussiau sur les facteurs d'instruments, par exemple, en témoignent) se révèlent riches et inattendues. La présente contribution se propose d'exposer ce qui, dans ce tableau, relève de l'édition musicale, de la librairie musicale, et des éléments relevés dans les collections musicales lyonnaises.

Page de titre du Traité de la musette [...], par Pierre Borjon de Scellery , Lyon, Jean Girin et Barthélémy Rivière, 1672 (BM Lyon, 107569)

Durant le dernier quart du XVIe siècle, les troubles religieux qui agitent la ville et l'affermissement de la propagande protestante déplacent le centre de gravité de l'édition musicale de Lyon à Genève. Le départ de Jean II de Tournes dans cette ville en 1585 sonne le début du déclin car après cette date les éditions recensées se comptent presque sur les doigts d'une main [note]Ces éditions sont décrites dans notre ouvrage cité plus haut, hormis celle de 1628, qui se trouve au monastère de la Visitation d'Annecy et à la Bibliothèque de l'université catholique de Lyon. Elle a été rééditée en 1637 et 1667 par les Ballard à Paris. :

  1. Michel Coyssard, Paraphrase des hymnes et cantiques..., Lyon, Jean Pillehotte, 1592.
  2. François Gras, Psaumes à quatre, cinq et six parties, Lyon, 1605 (édition perdue).
  3. François Gras, Chansons sur l'histoire de Suzanne, à plusieurs parties, Lyon, ca. 1605 (édition perdue).
  4. Anonyme, Recueil des psaumes, hymnes et motets qu'on a coustume de chanter es chapelles des Pénitents séculiers, mis en faux-bourdons et pleine musique à quatre voix..., Lyon, Jean Didier, 1610.
  5. Amphion sacré, recueilly de quelques excellens musiciens de ce temps... à 4 et 5 voix, Lyon, Louis Muguet, 1615.
  6. Chants de l'office des religieuses de la Visitation de Saincte Marie [à 1 voix], Lyon, Vincent de Coeursilly, 1628.

Après 1628, les casses de caractères de musique se sont recouvertes de poussière au fond des ateliers car les trente ans qui suivent n'ont rien révélé en matière de publication musicale. Les auteurs s'en plaignent, tels Claude et Gaspard Bachet qui déplorent, dans une préface de 1618, la difficulté de faire imprimer de la musique..., et le jésuite Michel Coyssard qui explique dans une lettre de 1619 concernant la réédition de ses hymnes qu'il eut fort désiré d'y joindre la musique... si la difficulté de trouver un imprimeur capable ne l'en avait dissuadé. Mais tout n'est pas lié, loin s'en faut, au départ de Jean II de Tournes car la période est sombre pour l'édition en général et particulièrement pour l'édition musicale. A Caen et à La Rochelle comme à Lyon, nul imprimeur n'y travaille plus. Les guerres de la Ligue ont appauvri l'économie et, partant, le marché du livre. A Paris, la puissante officine des Ballard intimide la concurrence sous prétexte qu'elle détient la charge d'Imprimeur du Roy pour la musique.

Musique et dévotion sociale : confréries et congrégations

Les sources concernant la musique en usage dans les églises lyonnaises au XVIIe siècle ne sont pas retrouvées. Aucun document important ni aucun inventaire n'a été mis au jour. Si la primatiale Saint-Jean s'interdisait toujours la musique polyphonique, d'autres églises entretenaient un organiste ou un maître de chapelle. L'analyse de l'inventaire de la musique de l'église collégiale d'Annecy dressé en 1661 [note]Norbert Dufourcq, Un inventaire de la musique religieuse de la Collégiale Notre-Dame d'Annecy, 1661, in Revue de Musicologie, 41 (1958), p. 38-59., qui reste la source contemporaine la plus proche de Lyon, laisse supposer que le répertoire lyonnais pouvait mélanger des oeuvres de maîtres parisiens (imprimées à Paris ou arrivées à Lyon par transmission manuscrite, de maîtres locaux) dont les noms restent inconnus, ou de maîtres italiens dont la renommée avait passé les Alpes.

A défaut d'en savoir plus, citons les pratiques musicales des confréries de pénitents et des congrégations d'artisans : elles rassemblaient des laïcs (bourgeois, nobles ou artisans) qui suivaient régulièrement des offices religieux dans une chapelle privée ou dans une église. Ils sortaient à diverses occasions pour des processions dans la ville, revêtus de « sacs » et de cagoules. Ils encourageaient la pénitence, le jeûne et la modération, au travers d'une sociabilité religieuse qui avait son pendant dans l'entraide sociale (soutien des veuves, des orphelins et des pauvres) comme dans la défense des intérêts professionnels au travers des corporations. Leurs pratiques musicales sont fort mal connues et mériteraient sans doute des études en archives ; on peut supposer que lors de ces offices on chantait, en latin, du plain-chant en alternance avec l'orgue ou des faux-bourdons, sur des psaumes, des cantiques, des antiennes ou des hymnes choisis en fonction du temps liturgique. De nombreux livres destinés à ces confréries de pénitents ont été publiés au XVIIe siècle, notamment dans la période 1610-1680, généralement sous le nom d'Office de la Bienheureuse Vierge Marie, d'Office du Très Saint Sacrement de l'autel ou de Cantiques spirituels. Les confréries les plus souvent citées sont, à Lyon, les Pénitents de Notre-Dame du Gonfalon, les Pénitents de la Miséricorde, les Pénitents de Notre-Dame de Lorette, ceux de l'Annonciation, ceux du Très Saint Sacrement de l'Autel, ceux du Saint Crucifix, ainsi que les Pénitents de Roanne. Sont également citées des congrégations d'artisans, dont les pratiques musicales sont mieux identifiées dans le sud de la France qu'à Lyon. Ces livres contiennent occasionnellement des passages en plain-chant mais trois seulement proposent de la musique notée :

"Le Musette" dans le Traité de la musette, par Pierre Borjon de Scellery Lyon, Jean Girin et Barthélémy Rivière, 1672 (BM Lyon, 107569)
  1. Recueil des psaumes, hymnes et motets qu'on a coustume de chanter es chapelles des Pénitents séculiers, mis en faux-bourdons et pleine musique à quatre voix..., Lyon, Jean Didier, 1610.
  2. Cantiques spirituels sur tous les exercices du chrestien, à l'usage des jeunes artisans des Congrégations de Notre-Dame, établies en l'église des Pères jésuites de Lyon, par un Père de la même compagnie, Lyon, 1652, 12°, 54 p., sans musique. Réimprimé et augmenté en 1671.
  3. Reigles et offices de la Compagnie des Pénitents du Très Saint Sacrement de l'Autel, établie à Roanne, et des autres Compagnies qui lui sont agrégées [avec musique à 1 v.], Lyon, Guillaume Barbier, 1657.
  4. Cantiques spirituels sur tous les exercices du chrestien, à l'usage des jeunes artisans des Congrégations de Notre-Dame, établies en l'église des Pères jésuites de Lyon, par un Père de la même compagnie. Augmentée pour la première fois des notes de musique, Lyon, 1671, 12°, 64 p. Réimprimé en 1687.
  5. Cantiques spirituels sur tous les exercices du chrestien, à l'usage des jeunes artisans des Congrégations de Notre-Dame, établies en l'église des Pères jésuites de Lyon, par un Père de la même compagnie, Lyon, 1687, 12°. Nombreuses autres rééditions par la suite.

Récolte bien maigre, convenons-en, mais qui prouve au moins que ces pratiques musicales existaient. Les noms des maîtres de musique sont inconnus à de rares exceptions près, tel Jean Pouha, maître de la musique de la Compagnie royale de Notre-Dame du Gonfalon vers les années 1680.

Musique et dévotion privée : les cantiques spirituels

En ce domaine, la moisson n'est guère meilleure [note]Liste compilée d'après Amédée Gastoué, Carola Hertel et divers catalogues collectifs ou particuliers. :

  1. Le Pacandre de Gloire, ou Cantiques sur des beaux airs, à l'honneur de la Nativité de Jesus-Christ..., Lyon, Pierre Bailly pour Nicolas Gay, [1615], 8°, 78 p. Contient 29 pièces sur timbres.
  2. Odes et chansons spirituelles, qu'on chante à saincte Ursule, corrigées par le R. P. M. Coyssard, et augmentées en ceste dernière édition de plusieurs autres..., Lyon, Louis Muguet, 1623. Contient 24 pièces sur timbres.
  3. Autres chansons spirituelles, et sainctes, composées nouvellement par Guillaume et Claude Gaspar Bachet frères, Lyon, Louis Muguet, 1623. Contient 29 pièces avec timbres.
  4. Les Cantiques sacrés de Philotée, sur les mystères de l'enfance du Sauveur du monde, Lyon, Vincent de Coeursilly, 1645. 8°, 219 p.
  5. Chansons spirituelles et autres poésies dédiées à la naissance de Jésus-Christ et à sa gloire, par le plus indigne de ses serviteurs, Lyon, Antoine Molin, 1653, 8°, 34 p. Contient 22 pièces sur timbres.
  6. Cantiques spirituels, et noëls nouveaux, Lyon, Antoine Molin, [1672], 12°, 96 p., musique à 1 voix.
  7. Cantiques sacrez, sur les mystères de la Vie, & de la Mort de Notre Seigneur Jésus-Christ, et de la Sainte Vierge. Sur les plus beaux airs de l'opéra, et de ce temps... Par Messire L. Chassain, Prêtre, et Chanoine de N. D. de Montluel, Lyon, Jean-Baptiste Barbier, 1684, 12°, [48]-[350] p.
  8. Noels bressans pour les paroisses circonvoisines de Pontdevaux. En langage du pays, Lyon, Benoist Vignieu, [1686].
  9. Cantiques en musique par François Pomey (édition perdue, avant 1686, avec musique notée).
  10. Cantiques spirituels et prières recueillis par A. H. P. E. L. D. L..., Lyon, Germain Nanty, 1692, 12°, 48 p.
  11. Cantiques spirituels, ou Noëls nouveaux, sur les plus beaux airs, qui ont été chantez dans l'Opéra de Paris, & à l'Académie Royale de Musique, établie à Lyon. Recueillis par A. H. P. E. L. D. L..., Lyon, A. Bonard, 1693, 12°, 48 p.
  12. Cantiques spirituels à l'usage des missions que font les prêtres de l'Oratoire de Jesus. Nouvelle édition revue, corrigée & augmentée, Lyon, Léonard Plaignard, 1700.

Il s'agit là de recueils de dévotion privée, contenant des cantiques ou des noëls destinés à être chantés à la maison. Ils sont généralement écrits sur des mélodies connues, indiquées par une simple mention, appelée timbre. Ces mélodies peuvent être assez anciennes et remonter aux XVe et XVIe siècles. Les mélodies notées en musique sont exceptionnelles, car peu d'imprimeurs avaient encore des caractères de musique et savaient s'en servir ; il ne s'agit d'ailleurs que de musique monodique, les premiers cantiques à plusieurs voix n'apparaissant à Lyon qu'en 1704.

A la fin du siècle, les recueils de 1684, 1692 et 1693 révèlent l'apport significatif des airs d'opéra dans la mémoire collective. De nombreux timbres sont des pièces profanes extraites des opéras de Lully ou de ses continuateurs (Pascal Collasse, Desfontaines, Marin Marais...), d'autres sont des airs (de Henry de Baussen, Jean-Baptiste de Bousset, Bénigne de Bacilly, Duparc ou Dubuisson...), auxquels se mêlent quelques pièces de maîtres locaux, tels Jean Pouha, François Ormancey ou Pierre Gautier (de Marseille). L'établissement d'un opéra à Lyon renforce encore cette influence qui se poursuit au XVIIIe siècle.

Quelques traités de musique

Pour être complet dans cette revue des sources musicales publiées à Lyon au XVIIe siècle, nous devons citer quatre traités :

  1. Pierre Gassendi, Manuductio ad theoriam musices, In Opera omnia, vol. V, p. 633 sq., Lyon, Laurent Anisson et Jean-Baptiste Devenet, 1658, 6 vol., 2°. Avec exemples musicaux.
  2. Jean Millet, La belle méthode, ou l'art de bien chanter..., Lyon, Jean Grégoire, 1666. Suivi par des petits motets.
  3. Pierre Borjon de Scellery, Traité de la musette, pour apprendre à jouer de cet instrument en peu de temps, Lyon, Jean Girin et Barthélémy Rivière, 1672. Suivi d'exemples en musique. Réédité à Paris en 1679.
  4. Phérotée de La Croix, L'art de la poésie françoise et latine avec une idée de la musique sous une nouvelle méthode, Lyon, Thomas Amaulry, 1694. Musique notée.

Ces traités couvrent l'espace qui va du plus théorique au plus pratique et les trois derniers d'entre eux offrent un réel intérêt : Millet parce qu'il précède de deux ans le célèbre traité de Bénigne de Bacilly, Borjon parce qu'il est le premier traité consacré à la musette et La Croix parce qu'il propose des idées originales sur les rapports entre texte et musique.

Page de titre du Florida, sive cantiones [...], Utrecht, Salomon de Roy et Jean Guillaume de Rhenen, 1601 (BM Lyon, Rés. FM 133 632

Musique et éducation : les jésuites

Lorsqu'en 1565 les jésuites reprirent aux protestants la gestion du Collège de la Trinité, ils établirent sur les bords du Rhône une position dominante de leur système éducatif, qui devait perdurer jusqu'à la suppression de l'Ordre en 1773. Des jésuites célèbres y travaillèrent, tels Edmond Auger, Michel Coyssard, François Pomey, Claude-François Ménestrier ou Etienne Bernou, éduquant les jeunes bourgeois et les jeunes nobles à grand renfort de catéchisme, de grammaire, de version latine et... de musique. Dès 1592, Michel Coyssard avait tenu à publier des hymnes en musique destinés à être chantés au catéchisme, arguant que la musique facilite la mémorisation des textes et qu'elle ne doit pas exprimer que des propos lascifs. C'est probablement aux jésuites que l'on peut attribuer la publication de l'Amphion sacré de 1615, et plusieurs recueils de cantiques (1652, 1671, 1687, Pomey...) témoignent de leur influence musicale envers les congrégations d'artisans comme envers le public.

Il est bien connu que le Collège de la Trinité organisait des séances de théâtre et des ballets en musique interprétés par des élèves, pour la remise annuelle des prix ou quelqu'autre solennité [note]Voir Pierre Guillot, Les Jésuites et la musique : le Collège de la Trinité à Lyon, 1565-1762, Liège, Mardaga, 1991.. Les dizaines de livrets publiés de 1601 à 1761 qui sont conservés dans les collections lyonnaises témoignent de la longévité de cette tradition mais ne donnent que rarement les noms de maîtres à danser ou de maîtres de musique employés au Collège. Si, aux alentours de 1700, Pierre Girard est identifié comme tel, aucun nom n'est connu pour le XVIIe siècle et, de ce répertoire, aucune musique ne nous est parvenue.

Que sait-on par ailleurs de ce qui était chanté à la chapelle de la Trinité, ce lieu baroque qui vient de retrouver sa splendeur originelle ? Allait-on au-delà d'hymnes ou de cantiques chantés par des gosses mal réveillés ou de pièces d'orgues jouées de mémoire pour ponctuer un office ? Sur ce point, la bibliothèque du Collège livre quelques indications, car la Bibliothèque de Lyon possède quelques volumes de musique portant l'ex-libris manuscrit de cette institution [note]Hormis le Nocetti, ces volumes sont décrits dans notre Catalogue de la musique imprimée avant 1801 conservée dans les bibliothèques de Lyon, Grenoble et la région, Lyon, 1986.:

  1. Balet comique de la Royne, faict aux nopces de Monsieur le Duc de Joyeuse & Madamoyselle de Vaudemont sa soeur. Par Baltasar de Beaujoyeulx..., Paris, Adrian Le Roy, Robert Ballard, Mamert Patisson, 1582, 4°, 75 f.
  2. Florida, sive cantiones... Ad testudinis usum accomodatae. Opera... Joachimi Van der Hove, Utrecht, Salomon de Roy et Jean Guillaume de Rhenen, 1601, 2°, 110 f. Provenance Claude-François Ménestrier.

  3. Liber primus. Cantiones sacrae Magnificat vocant V et VI vocum authore Orlando de Lasso... ab eiusdem Orlandi filio Ferdinando de Lasso, Munich, Nicolas Heinrich, 1602, 6 vol., 2°. Partie de Quinta vox seule.
  4. Flaminio Nocetti, Cantica et litaniæ B. Mariæ virginis... octonis vocibus concinendæ, Venise, Bartolomeo Magni, 1617, 9 parties, 2°. Partie d'orgue seule.
  5. Promptuarii musici, concentus ecclesiasticos II, III &; IV vocum, ... collectore Joanne Donfrido, Augsbourg, Paul Ledertz, 1622, 5 vol., 2°. Partie de Bassus generalis seule.
  6. Jean-Baptiste Lully, Bellérophon. Tragédie, Paris, Christophe Ballard, 1679. Partition 2°. Provenance François de La Chaize.
  7. o Jean-Baptiste Lully, Proserpine, tragédie mise en musique..., Paris, Christophe Ballard, 1680. Partition 2°. Provenance Claude Girardot.

A ces volumes de musique s'ajoutent quelques traités (fort classiques à l'époque) [note]D'autres partitions de la fin du XVIIe siècle ou du premier tiers du XVIIIe siècle portent le premier cachet de la bibliothèque publique de Lyon ("EX BIBLIOTH. PUB. COLLEG. LUGDUN.") mais il n'est pas certain qu'elles proviennent directement des jésuites. Liste dans Guillot, op. cit., p. 251-257.:

  1. Fabritio Caroso, Trattato secondo del Ballarino... nel quale s'insegnano varie sorti di Balletti, Cascarde, Tordiglione, Passo e mezo, Pavanaglia, Canario, & Gagliarde all'uso d'Italia, Francia, & Spagna..., Venise, Francesco Ziletti, 1581, 4°, 184 f. Provenance Claude-François Ménestrier.
  2. Fabritio Caroso, Nobiltà di Dame... Libro, altra volta, chiamato il Ballarino..., Venise, Muschio, 1600, 4°, 370 p.
  3. Antoine Parran, Traité de la musique théorique et pratique. Contenant les préceptes de la composition, Paris, Robert III Ballard, 1646, 4°, [8]-144 p.
  4. Philippe Fornas, L'art du plain-chant, Lyon, Marc Mayer, 1672, 4°, 116 p. Provenance Camille de Neufville de Villeroy.

Faut-il croire, pour autant, que ces oeuvres furent jouées au Collège ? Hélas, non... On peut éliminer les volumes provenant des bibliothèques privées de François de La Chaize d'Aix ou de Camille de Neufville de Villeroy, qui ne relèvent pas d'une quelconque pratique musicale. On peut ôter également les volumes portant l'ex-libris manuscrit de Claude-François Ménestrier, qui furent probablement des livres d'étude, utiles à ce jésuite savant, féru de ballets, d'emblèmes, d'histoire et d'héraldique. Il ne reste, finalement, que les volumes de 1602, 1617 et 1622, qui puissent indiquer ce qui aurait pu être chanté à la chapelle : ce sont des recueils de motets, de cantiques et de litanies, d'origine allemande ou italienne, dont il faut bien reconnaître qu'ils sont assez rares sous nos longitudes. Comment sont-ils arrivés là ? Y avait-il, au Siècle des Lumières, des libraires de musique susceptibles d'importer des livres de musique italiens ou allemands ?

La librairie musicale : à la frontière de deux mondes

Les relevés que nous avons pu faire dans les catalogues des libraires lyonnais [note]Voir Laurent Guillo, Notes sur la librairie musicale à Lyon et à Genève au XVIIe siècle, in Fontes Artis Musicæ 36/2 (1989), p. 116-135. montrent que les rares maisons proposant des livres de musique figurent parmi les plus importants libraires, travaillant souvent à cheval entre Lyon et Genève. Les maisons Huguetan, Rouillé-Prost, Choüet et de Tournes, toutes ancrées dans le XVIe siècle, diffusent surtout des livres de musique imprimés à Lyon ou à Genève depuis le milieu du XVIe siècle (c'est-à-dire des rossignols invendables), et un échantillon disparate d'oeuvres flamandes, allemandes ou italiennes plus récentes. Ce dernier répertoire - où figurent des recueils de Donfried, Lassus et Van den Hove identiques ou analogues à ceux qui sont cités plus haut - relève de la marchandise courante disponible en Europe sur l'arc qui allait de l'Angleterre à l'Italie du Nord en passant par les Flandres, les pays alémaniques et la Suisse. Cette marchandise se trouvant en quantité dans les foires de Francfort et de Leipzig, on peut dire qu'en l'espèce Lyon profitait un peu de sa double situation de ville marchande et de ville-frontière. En revanche, nulle trace d'un libraire qui aurait proposé d'une façon régulière les impressions parisiennes sorties des presses des Ballard. A moins, peut-être, que les nouveautés ne figurent pas dans ce type de catalogues, qui seraient alors des catalogues de fonds...

Un catalogue de vente mérite d'être signalé : celui de Claude Bourgeat qui vend en 1668 les livres de Claude de Rebé, archevêque de Narbonne. Une petite section de ce catalogue mentionne dix-huit éditions musicales assez anciennes, parmi lesquelles six éditions de Ballard (de Claude Le Jeune, Jean Titelouze, Eustache Du Caurroy, Orlande de Lassus), le reste provenant d'ateliers vénitiens.

Plain-chant et liturgie

Dernière facette à envisager pour clore cette revue des sources : le plain-chant et l'édition liturgique, domaine dans lequel l'imprimerie lyonnaise a toujours été très active. De nombreuses liturgies avec ou sans plain-chant noté ont été imprimées dès le XVe siècle et jusqu'au XIXe siècle, pour le diocèse de Lyon mais aussi pour de nombreux diocèses situés à l'entour. Nous ne pourrons pas donner ici un aperçu précis de cette production puisqu'en règle générale l'édition liturgique est assez mal documentée [note]Le diocèse de Lyon a cependant fait l'objet d'une bibliographie liturgique extrêmement utile, par Robert Amiet dans l'Inventaire des livres liturgiques du diocèse de Lyon (Paris, 1979).. Parmi les noms qui ressortent, on peut citer Pierre Rousselet au début du siècle, puis Pierre I Valfray, actif de 1674 à 1716, qui imprime beaucoup de missels, graduels et autres ouvrages de cette nature.

En revanche, doivent être mentionnées plusieurs méthodes de plain-chant [note]Bénédicte Mariolle, Bibliographie des ouvrages théoriques traitant du plain-chant (1582-1789), in Plain-chant et liturgie en France au XVIIe siècle, textes réunis par Jean Duron, Paris, 1997.:

  1. Philippe Fornas, Méthode de plein-chant, Lyon, Vve de Pierre Muguet, 1657.
  2. Jean Millet, Directoire du chant grégorien, Lyon, Jean Grégoire, 1666-1667.
  3. G. Tardif, Briève méthode du plein-chant qui enseignera à chanter et connoistre tous les tons en peu de tems, Lyon, Jean Grégoire, 1672.
  4. Philippe Fornas, L'art du plain-chant, Lyon, Marc Mayer, 1672.
  5. Méthode facile et assurée pour apprendre le plain-chant parfaitement, & en peu de temps... Composée par un prêtre... S. Nicolas du Chardonet..., Lyon, Benoist Bailly, 1682.
  6. François Du Viviers, Nouvelle methode tres facille pour apprendre le plain-chant en fort peu de temps : augmentée de plusieurs antiennes et hymnes qui se chantent pendant l'année et des obsèques des morts, Lyon, Pierre I Valfray, 1693.
  7. François Du Viviers, Méthode nouvelle pour apprendre le plain-chant en fort peu de temps. Revüe, corrigée et augmentée de nouveau, Lyon, Barthélémy Martin, 1700, 47 p.

Jean Millet fut aussi l'auteur de La Belle méthode ou l'art de bien chanter, en 1666 ; François Du Viviers était quant à lui maître de musique à l'hospice de la Charité. Cette institution prenait en charge l'éducation des orphelins lyonnais ; la présence de maîtres de musique vient de ce que l'un des métiers qui leur était enseigné était celui de ménétrier. Il convient de signaler, également, une liturgie contenant 17 pages de « Chants ordinaires et extraordinaires » à une voix, notés en musique mensurelle, probablement reprise de l'édition parisienne des Ballard de 1637 : Cérémonial des religieuses de la Congrégation des Sainct-Bernard de Cisteaux, paru à Lyon, chez Pierre Muguet, en 1648.

Liber Primus. Cantione sacrae [...], Munich, Nicolas Heinrich 1602 (BM Lyon, Rés. 120352, f.125 v°)

Autre spécialité lyonnaise, ces petits recueils intitulés Cantus diversi, destinés aux laïcs, qui contenaient des pièces en plain-chant extraites du graduel. Les imprimeurs lyonnais leur ont adjoint un groupe de trois petites méthodes de plain-chant, pour former ce qui ressemble fort à une tradition éditoriale locale :

  1. Cantus diversi ex graduali romano pro singulis solemnitatibus, dominicis, festis et feriis per annum..., Lyon, 1683.
  2. Cantus diversi ex graduali romano... [suivi de] Trois méthodes faciles pour apprendre le plain-chant en peu de temps, avec les divers tons ou intonations des chants communs de l'église, selon le directoire romain ; Et la manière de bien chanter dans un choeur, Lyon, Claude Bachelu, 1689.
  3. Cantus diversi ex graduali romano... [suivi de] Trois méthodes faciles pour apprendre le plain-chant..., Lyon, Claude Bachelu, 1697.
  4. Trois méthodes faciles pour apprendre le plain-chant..., Lyon, Claude Moulu, 1700.
  5. Cantus diversi ex graduali romano... [suivi de] Trois méthodes faciles pour apprendre le plain-chant..., Lyon, Antoine Moulu, 1713.
  6. Cantus diversi ex graduali romano..., Lyon, 1714.
  7. Cantus diversi ex graduali romano... [suivi de] Trois méthodes faciles pour apprendre le plain-chant..., Lyon, Claude Moulu, 1715.
  8. Cantus diversi ex graduali romano... [suivi de] Trois méthodes faciles pour apprendre le plain-chant..., Lyon, Pierre Valfray, 1724.
  9. Cantus diversi ex graduali romano... [suivi de] Trois méthodes faciles pour apprendre le plain-chant..., Lyon, 1727.

Voilà, en substance, ce que nous pouvons présenter des sources musicales imprimées à Lyon au XVIIe siècle [note] Les principaux éléments de cette étude ont été présentés à la Journée sur la musique à Lyon au XVIIe siècle organisée par le Musée historique de Lyon.. Nous avons volontairement laissé de côté les manuscrits, car ceux-ci nous sont essentiellement parvenus par le fonds de l'Académie du Concert et relèvent donc de la mouvance de l'établissement de l'Académie ou de l'Opéra.

L'ensemble de ces sources offre un aspect décousu à cause du faible nombre d'ouvrages qui peuvent être énumérés dans chaque catégorie, mais aussi parce que le répertoire est très marginal : il s'agit de traités de musique ou de plain-chant, et de musique spirituelle latine ou française (cantiques, recueils de piété, Cantus diversi). Pas de messe ni de recueil de motets, point de chanson, de madrigal ni de recueil instrumental : rien, en somme, de ce qui constitue le coeur du répertoire musical de l'époque tel qu'il s'exprime à Paris, en Italie, dans les Flandres ou en Allemagne. En France, pendant le XVIIe siècle, l'édition musicale était quasiment confisquée par les presses parisiennes des Ballard ou des Sanlecque ; cette situation n'évoluera qu'au XVIIIe siècle, avec la généralisation de la gravure en musique, la multiplication des marchands de musique dépositaires dans les grandes villes du royaume et, parfois, l'émergence d'une édition locale, phénomène dans lequel Lyon fait cette fois bonne figure.