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DE LA PERFECTIBILITÉ HUMAINE. 495 d'avoir surpassé Homère, Virgile, Phidias ou Démosthènes ? A ne considérer que les progrès scientifiques, les hommes d'esprit qui, vers la fin du XVIIe siècle, engagèrent la querelle des anciens et des modernes, les Fontenelle, les Perrault, les Lamotte, les Ter- rasson, eurent certainement raison contre leurs adversaires en soutenant la supériorité des modernes. Mais ils eurent tort quand ils voulurent étendre à l'éloquence, à la poésie, aux beaux-arts, ce qui n'est vrai que des sciences. Ils- mirent le bon sens et le goût du côté de leurs adversaires, ils furent injustes et ridicules dans leurs critiques et leurs parallèles quand ils entreprirent de prouver que l'éloquence est progressive comme la physique et la poésie comme les mathématiques. Ce que Buffon disait du style, il faut le dire aussi de l'art et de la vertu, c'est l'homme même. Il n'y a pas de procédé au monde qui puisse les trans- porter hors de l'artiste, hors de l'homme vertueux lui-même, et les faire passer d'une âme dans une autre. La science seule se laisse, pour ainsi dire, détacher de l'indi- vidu et transmettre à l'espèce. Aussi, est-ce dans le progrès de l'intelligence ou de la science que consiste tout entière la per- fectibilité de l'espèce humaine. Ce sont les idées nouvelles, ce sont les découvertes scientifiques qui deviennent un bien ac- quis à la société tout entière, qui vont augmenter la masse des idées et des découvertes antérieures et servir d'échelon pour des découvertes nouvelles. Sciences physiques et morales, ex- périence , industrie, voilà le patrimoine commun à toute l'hu- manité, voilà le champ immense ouvert à la perfectibilité. Ne craignez même pas qu'un jour accablé, pour ainsi dire, sous le poids des connaissances antérieures, l'esprit humain ne puisse aller plus loin. Car plus les connaissances augmentent et plus elles se généralisent, et plus les méthodes se perfectionnent, de telle sorte qu'à chaque époque, sans plus d'effort, l'esprit pourra s'élever au niveau des connaissances contemporaines pour en- suite les dépasser. Sur ce progrès continu de l'intelligence et sur le bien déjà réalisé dans le passé, nous pouvons légitimement fonder l'es- poir d'un avenir meilleur pour l'humanité sur cette terre.