Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
492                         DES LIMITES
tière, et se transmettre de génération en génération. Tandis que
la perfectibilité individuelle a sa limite fatale dans l'existence
même de l'individu, la perfectibilité sociale, semblable à un héri-
tage toujours croissant, n'a pour terme, dans le temps, que la
 durée de l'humanité elle-même, et, pour obstacle insurmontable,
 que les conditions essentielles de la nature humaine. Pour nous
 faire une juste idée du progrès social, distinguons donc d'abord
 avec soin ce qui, dans le progrès de l'individu, est transmissible
 d'avec ce qui est intransmissible, ce qui s'accroît et s'augmente
 sans cesse en s'ajoutant, de ce qui ne peut ni se léguer d'homme
à homme, ni se transmettre de génération à génération.
    Hélas ! j'aperçois tout d'abord deux grandes choses qu'il faut
retrancher du progrès social, et mettre en dehors des espérances
 d'une perfectibilité indéfinie. Ces deux grandes choses sont .-
l'art et la vertu. Les lumières de l'intelligence, la science et l'in-
dustrie, vont en croissant d'âge en âge, mais non pas l'art et la
vertu.
    L'homme vertueux emporte avec lui sa vertu dans la tombe,
n'en laissant que l'exemple et le souvenir à ceux qui le suivront
dans la carrière. Quelque loin que lui-même il soit allé dans la
voie difficile du bien, quelques combats qu'il ait livrés, quelques
victoires qu'il ait remportées, tous les autres hommes n'en au-
ront pas moins, après lui, les mêmes obstacles à vaincre, et les
mêmes combats à livrer. Ni les mérites des ancêtres, ni les
progrès de la civilisation n'auront pour effet d'alléger cette rude
tâche, ni de mettre à meilleur compte et à plus bas prix le vrai
mérite et la vraie vertu. En tout état de la société, la tâche mo-
rale demeure identique et personnelle ; et, jusqu'à la fin des
siècles, chacun naîtra, apportant avec lui l'obligation de la re-
commencer tout entière, au prix des mêmes luttes et du même
labeur.
    Suis-je donc du nombre de ces aveugles pessimistes qui, en
dépit des témoignages éclatants de l'histoire, nient l'existence
d'un progrès moral, depuis les temps anciens jusqu'au moyen
âge, depuis le moyen âge jusqu'aux temps modernes ? En aucune
façon, Messieurs ; mais il faut prendre garde à ce qu'on entend