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418               LETTRES DE MADAME DE STAËL.
mais je n'étais pas en train de rire, et j'ai laissé passer tout ce
qu'il a bien voulu me dire pour me donner bonne opinion de lui.
Ainsi, chacun s'agite pour réussir ; il n'y a que le génie qui
triomphe presque à son insu. Ainsi vous êtes.
   « Adieu ; écrivez-moi quelques lignes sur votre santé, vos suc-
cès et la probabilité de vous revoir. Mon adresse àCoppet, Suisse.
Adieu, adieu ; mille tendres compliments à Mme Talma.
   « Je pars dans une heure. Les Templiers (1) sont traduits en
espagnol, et se jouent à Madrid. »

   Le cœur plein de lassitude et de tristesse, en face
des événements qui agitaient l'Europe , et de la con-
duite de son ami B. Constant,, Mœe de Staël devait en-
treprendre un voyage en Grèce, et il est bien regret-
table qu'elle n'ait pas accompli son projet. Quel beau
livre elle eût rapporté de l'Orient ! Voici une lettre
qu'elle écrivait, de Suisse, à une amie, au moment
où elle se croyait près du départ, probablement en
1815
   « C'en est fait, ô mon amie, et toutes les illusions de ma vie
sont dissipées à la fois ; gloire, fortune, amitié, tout s'est éva-
noui. Cette belle France est désenchantée pour moi, j'y ai laissé
mon bonheur, en y perdant mes chimères, et je vais chercher
loin de toi des distractions d'esprit, puisque mon cœur est dé-
sintéressé de tout ce qui l'occupait. Tu sais quelles douces er-
reurs ont amusé ma vie. J'espérais conserver à mon nom, par
des succès d'un autre genre , la gloire acquise par mon père.
Des jours nouveaux présentaient à mon imagination une noble
carrière ; l'héritage des droits de mon père allait me procurer
une fortune indépendante ; tout a été renversé dans un mo-
ment, et c'est dans l'exil que j'emporte mes espérances perdues
de fortune et de renommée.
  « Mais, que sont de telles pertes comparées à celles du cœur?
  (i) Tïagédii; de Rayiiouard.