Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
414               LETTRES DE MADAME DE STAËL.
celui qui me fait honaeur à mes yeux et à ceux des autres, si
vous me permettez de me parer de vos jolis vers. Je suis bien
aise que Corinne vous ait intéressé , mais je ne crois pas qu'il
y ait rien d'immoral dans ma Delphine : vous la traitez bien
sévèrement. Lorsque cet ouvrage parut, l'esprit de parti s'en
empara, et, comme j'aimais et j'aime les principes de la liberté,
on voulut me faire un crime de tout ce qui constitue un ro-
man. Mais j'ai la conscience, et la conscience ne trompe pas,
qu'il n'y a pas un principe ni un sentiment que la morale la
plus pure dût désavouer.
    « A présent, je m'occupe de l'Allemagne, mais sans cadre; je
crois que, pour peindre un pays plus remarquable par la phi-
losophie et la littérature que par son climat et ses beaux-arts,
il fallait éviter le cadre romanesque, et c'est par chapitre et par
lettres que mon ouvrage sera divisé ; mais néanmoins .vous y
trouverez, j'espère, de l'intérêt et de l'imagination, en ce pays
lourd en apparence, et le plus poétique de l'Europe actuelle, le
seul où il y ait encore de l'enthousiasme rêveur , du moins en
se bornant au continent.
    « Je vous ai bien peu vu, Monsieur, dans mes courts voyages,
et j'ai aperçu néammoins que je pourrais vous voir beaucoup,
et ne point me lasser de votre esprit ingénieux et juste.
    « Je me propose de passer quelques jours à Lyon, au prin-
temps prochain. Que je serais heureux de vous y rencontrer et
d'y trouver Jordan, que j'aime et respecte tour à tour pour son
âme et son esprit ! J'espère que vous viendrez, l'été prochain, à
Coppet, car ce n'est qu'en automne que je me propose de le
quitter. Songez donc qu'en vingt-quatre heures, en autant de
temps qu'une tragédie française, vous serez ici. A propos de
tragédie, vous allez voir paraître Walstein (1) ; vous n'en con-
naissez qu'un acte , et je vous en demande votre avis. Benja-
min a un grand talent. Je m'empresserai de vous envoyer ma
Corinne avec mon nom et le vôtre , mais j'attends une occa-
sion pour vous la faire parvenir.

  (1} Walemtein, tragédie en cinq actes et en vers, par B. Constant. Genève,
1809, in-8.