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384 DE L'UNITÉ DES ARTS. ces d'exécution et d'effet, en n'observant pas assez ce qui se passe dans le travail du peintre et du statuaire, et dans les conditions de leur art. On n'avait pas analysé comme nous ce qui, dans la phrase et dans le vers , participe de la couleur, du dessin et du mouvement, en un mot des arts plastiques ; quoi- que, d'autre part, les lois musicales du style eussent été sinon mieux connues, du moins appliquées avec une immense su- périorité par les écrivains des deux derniers siècles. De nos jours, les arts ont poussé jusqu'à l'exagération les em- prunts qu'ils peuvent mutuellement se faire ; ils ont cherché à s'approprier les ressources les uns des autres par une confu- sion de leurs limites respectives, encore plus déplorable que l'i- solement qui leur faisait autrefois méconnaître leurs communs rapports. Sans doute la poésie avait beaucoup à gagner à vivre plus rapprochée de la peinture, et celle-ci à fréquenter la poésie et la philosophie elle-même. Mais l'ambition de réunir des ca- ractères que la nature des choses sépare nettement a égaré bien des hommes de talent et retenu leurs conceptions dans ces lim- bes du vague où s'agitent les œuvres avortées. C'est ainsi que des peintres ont prétendu philosopher dans leurs tableaux et des musiciens dans leurs symphonies. Sous prétexte qu'une pensée mystique était le support de toute pein- ture au moyen-âge, et s'exagérant la part que la science de Ra- phaël lui-même avait pu faire au symbolisme dans des compo- sitions telles que l'École d'Athènes et la Dispute du Saint- Sacrement , quelques artistes se sont tellement attachés à faire prédominer l'expression sur la beauté et la signification sur la forme , ils ont tellement répudié, en faveur du symbolisme, le charme propre de la peinture, que leurs tableaux ont réalisé, pour nos yeux, la difformité bizarre des hiéroglyphes, en restant aussi indéchiffrables pour notre esprit. Tels de nos musiciens ont imaginé tout à la fois de représenter comme les peintres, de narrer comme les poètes, et de raisonner comme les mo- ralistes. Ce qu'il y a de nécessairement indéfini dans l'ex- pression musicale, ouvrait là plus qu'ailleurs un vaste champ aux fantastiques aberrations des critiques qui ont amené celles