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CONSTANTIN LE BRACONNIER. 335 sortie, après six longs mois d'attente et d'inaction. En effet, si je regarde en arrière, en me reportant à quelques années seule- ment, combien s'est amoindrie la petite phalange de nos vieux camarades ! Que de places vacantes dans leurs rangs ! Plusieurs nous ont quittés, emportés par la préoccupation des affaires ou les intérêts de la famille ; quelques-uns sont morts, pleins en- core de sève et de jeunesse. Les meilleurs ont laissé des traces vivantes dans nos esprits ; les autres, doués moins heureuse- ment, ou tombés plus tôt, sont déjà presqu'entièrement oubliés. J'espère qu'il n'en sera pas de même pour mon brave ami, le pauvre et bon Constantin, le plus regrettable braconnier qui fit jamais feu sur le poil ou la plume, dans les plaines de la Dombe, et tous ceux qui l'ont connu, autant dire qui l'ont aimé , me sauront bon gré, j'en suis sûr, de conserver son souvenir. A Lyon, tout le monde connaît, au moins de réputation, le marais des Echets, immense prairie inondée, située au commen- cement du plateau de la Bresse, entre les communes de Fontaines et de Miribel. Ce fut longtemps la terre promise des chasseurs ; mais les travaux de dessèchement exécutés par les propriétaires riverains, en facilitant l'écoulement des eaux, en ont à peu près banni le gibier. A de longs intervalles, on y signale encore quelques pièces égarées ; mais, quelle différence entre les chasses d'aujourd'hui et celles qui s'y faisaient il y a vingt-cinq ans ! Quelle scène ani- mée présentait cette vaste savanne, pendant les passages de mars ou de l'automne ! Alors, les tireurs s'y rassemblaient le dimanche, par centaines ; des milliers de coups de fusil, avec ce bruit sourd qu'on entend dans les espaces sans écho, s'y succé- daient comme à la manœuvre ; de nombreuses troupes de van- neaux ou de sarcelles, effrayées par les détonnations, s'enlevaient du milieu des roseaux, tournoyaient un instant dans le brouil- lard, comme de longues écharpes emportées par le vent, et fuyaient vers les grands étangs solitaires ; les râles paresseux, les lourdes poules d'eau, les bécassines au vol rapide et saccadé partaient à tous les pas devant nos chiens. Les belles journées que nous faisions alors ! Que de victimes venaient s'entasser