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162 LE BUCHERON. Triste et rude métier que de porter la hache ! A ce labeur de mort quel dieu m'a condamné ? Sur tes plus beaux enfants j'ai frappé sans relâche, Et je t'aime pourtant, forêt où je suis né ! Ton ombre est mon pays ; j'y vieillis ; je sais l'âge Des grands chênes épars sur les coteaux voisins. Jamais je ne dormis dans les murs d'un village ; Je ne cueillis jamais le blé ni les raisins. Ma mère me berça dans la mousse et l'écorce, J'ai, dans un nid pareil, vu dormir mes enfants ; Et, comme moi jadis, fiers de leur jeune force, Ils grimpaient, tout petits, sur l'arbre que je fends. J'ai compté de beaux jours, hélas ! et des jours sombres Que savent tous ces bois complices ou témoins ; J'ai connu d'autres maux que la faim sous leurs ombres ; Dans un corps endurci l'âme ne vit pas moins. Je la sens s'agiter sous le joug qui m'enchaîne ; Et l'arbre, gémissant de mes coups assidus, Parle au noir bûcheron qui fend le cœur du chêne Comme aux pâles rêveurs sur la mousse étendus.