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146 BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE. mauvaise direction sociale de ce travail tel qu'on l'entend aujour- d'hui, ce serait faire une œuvre grande, utile et durable. Ce serait enseigner au riche à respecter l'ouvrier ; au pauvre ouvrier à se respecter lui-même. « 11 y a des états plus ou moins nobles en apparence, plus ou moins pénibles en réalité. Chacun demanderait au poète un examen approfondi, des réflexions, un jugement particulier à la fois poétique et philosophique; et il y aurait, avec l'unité de forme, une variété infinie dans un tel sujet. H y a dix ans que j'y rêve ! 11 y a eu un temps où mon idée sur la chanson de chaque métier était si nette et si vive, que si j'avais su faire des vers, je l'au- rais réalisée sous le feu de l'inspiration. C'est un sujet que j'ai conseillé à plusieurs jeunes poètes et qui les a tous effrayés, parce qu'ils n'avaient pas l'inspiration et la sympathie qu'il faut pour cela. Un poète prolétaire devrait les avoir. Vous, Poney, vous auriez la grandeur et l'enthousiasme. Mais, pour plier votre talent un peu recherché et brillante à l'austère simplicité indispensable à ce genre de poésies, il vous faudrait travailler beaucoup, renon- cer à beaucoup d'effets chatoyants et à beaucoup d'expressions coquettes que vous affectionnez. Seriez-vous capable d'une aussi grande réforme? Sans cette réforme, pourtant, l'ouvrage dont je parle n'aurait aucune valeur, aucun charme pour le peuple et, le dirai-je ? aucune nouveauté aux yeux des connaisseurs ; car il s'agirait de faire quelque chose que personne n'a fait encore. Vous l'avez fait à votre manière (et c'était une manière admira- ble), pour vous peindre vous-même dans votre état de maçon; mais il faudrait être encore plus simple, tout à fait simple. Le simple est ce qu'il y a de plus difficile au monde. C'est le dernier terme de l'expérience et le dernier effort du génie. N'êtes-vous pas trop jeune pour donner ces touches fermes et nettes qui pa- raissent si facile que chacun se dit : « J'en aurais fait autant ? » et que personne cependant ne peut le faire qu'un grand artiste ?.... Le Postillon, le Forgeron, le Maçon, le Laboureur, le Boulan- ger, le Jardinier, le Fossoyeur, etc., etc., quelle foule inépuisa- ble de types variés et qui tous pourraient être embellis ou plaints par le poète ! Il faudrait faire aimer toutes ces figures, même