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                                  DAMES SEULES                     I45

   Ici commence l'inattendu. Le château de Grindes est moderne,
gai, coquet, pimpant, riant, engageant. Les laquais ne sont pas
habillés de noir. Le vestibule est embaumé de fleurs et encombré
de verdure. Le salon est mignon comme un boudoir. Point de
housses aux meubles. Au lieu d'épinette, un piano. Au lieu de la
Chloris de 1830, le portrait étincelant de jeunesse et de beauté de...
de la voyageuse du compartiment des « dames seules, » en robe de
velours bleu décolletée. C'est elle, la marquise Renée de Grindes, la
fameuse grand'tante qu'on se figurait vieille, décrépite et chagrine.
Le chevalier d'Embrée est vert comme un chêne et joyeux comme un
collégien. Un hasard, pas trop extraordinaire dans une famille nom-
breuse, a donné à Georges une grand'tante de trente ans et un
grand-oncle de cinquante.
    Dès lors, on devine de quelle façon passent les vacances, Georges
est accueilli comme l'enfant prodigue ; gâté, choyé, fêté comme le
 fils d'un prince. Ce ne sont, six semaines durant, que parties de
 chasse et de pêche, promenades, excursions, galopades à travers
 champs, réceptions et sauteries. Toute la société des environs se
donne rendez-vous au château. Le dernier jour, vingt acteurs
improvisés jouent le Monde où l'on s'ennuie d'Edouard Pailleron, que
je ne suis nullement étonné de voir défrayer les plaisirs de Grindes,
après en avoir vu représenter, l'été dernier, une traduction en hon-
grois sur la scène du Théâtre national, à Budapest.
   Naturellement, Georges est devenu tout de suite amoureux fou de
sa grand'tante. Naturellement aussi, il a négligé d'adresser au comte
et à la comtesse de Forez une relation détaillée de ce qu'il a vu,
fait et pensé depuis qu'il a quitté Paris. L'explication n'a lieu qu'au
retour. Elle est orageuse. Le comte est furieux d'avoir été trompé.
La comtesse prend une crise de nerfs. Mais les bons parents ont
leur revanche, lorsque, deux mois après, ils annoncent à Georges
réintégré à Saint-Cyr le mariage de la marquise de Grindes avec le
vicomte de Brives. Georges tombe gravement malade. Il en réchappe,
recouvre sa bonne santé et sa joyeuse humeur; et il ne lui reste plus
de son amour passé que le souvenir, poétique, délicieux et impé-
rissable, comme tout souvenir amoureux .
          N° 50. - Février 1S85                           10