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BIBLIOGRAPHIE 525 churo émane d'un écrivain qui connaît parfaitement les régions dont il parle et à ce titre elle se fera lire avec intérêt ; mais il est permis de trouver excessives ses sympathies pour l'Angleterre. Son livre peut se résumer en deux mots : l'Egypte aux Anglais, et l'Abyssinie à la France. Sans être grand clerc en la matière, je me permettrai de lui pré- senter quelques observations. L'Egypte doit devenir la proie de l'Angleterre, parce que c'est elle qui fait dans ce pays Je commerce Je plus considérable, et en même temps parce que la possession de la terre des Pharaons lui est indispensable pour assurer la route des Indes. A ce compte, il est fort heureux pour nous que Marseille ou Bordeaux ne soient pas d'une aussi absolue nécessité à la liberté du chemin des Indes, sans quoi les habitants de nos grands ports pourraient bien avoir la désagréable surprise de voir un beau matin, à leur réveil, flotter au vent le pavillon anglais sur la Ganebière ou aux Quinconces. Peut-être la marine britannique daignerait- elle encoreles gratifier d'un petit bombardement préliminaire. L'amour du lucre est au demeurant, l'auteur en convient formellement, le plus puissant des motifs qui animent l'Angleterre. « Nous comprenons, dit-il, l'intérêt qu'ont les Anglais de s'emparer de l'Egypte : ce qui les attire, c'est le gain. » En présence de cette prépondérance commerciale, qui est indéniable, les droits de toutes les autres nations doivent ils donc s'effacer? M. E. Paul nous conseille de demeurer bien tranquilles. Si nous venions à élever un peu trop la voix, l'An- gleterre finirait par nous déclarer la guerre. La plaisanterie est un peu démodée. Quel que soit le parti politique qui occupe le pouvoir chez nous, il se trouverait bien, le cas échéant, un ministre pour réédi- ter la l'éponse que fit eu 1830 le prince de Polignac à l'ambassadeur anglais. La considération mise en avant par le brochurier ne me semble pas appelée à peser d'un poids bien lourd dans la balance. L'idéal de l'auteur de la brochure que j'analyse, c'est de voir les Anglais faire de l'Egypte ce qu'ils ont fait de l'Inde. Est-il bien désirable pour les fellahs d'avoir pour maîtres « les hypocrites qui se piquent de voler et d'opprimer l'Inde pour son bien, ou les cyniques qui agissent de même avec le but pur et simple de r e m - plir leurs poches i ? » Le jour où les premiers chevaux cosaques viendront bai - gner leurs pieds poudreux dans les flots de l'Indus, les conquérants verront quels trésors de reconnaissance leurs procédés de pseudo-civilisation ont gravés dans l'âme des Hindous. M. Paul dit que l'Egypte est devenue la proie des financiers véreux et avides : que no dit-il en même temps de quel côte de la Manche se sont rencontrés les plus rapaces ! Je ne puis m'empêcher non plus de noter en passant la façon plus que surpre- nante dont l'auteur parle de la glorieuse campagne de Bonaparte en Egypte. M. Paul n'est pas d'avis que notre abstention soit purement gratuite : il nous sera permis d'annexer l'Abyssinie. La France peut bien avoir l'intention dénouer des relations commerciales avec ce grand et riche pays; le port d'Obock qu'elle possède déjà lui sera pour cela d'un grand secours ; mais elle n'a nullement l'in- tention de l'annexer. Sans doute il pourrait être agréable à nos bons voisins de 1 J'emprunte ces qualificatifs imagés à un auteur qui est parfaitement au courant des choses anglaises. La phrase se trouve dans un arlicle de Th. Bentzon, publié dans la Revue des Deux Mondes, du 15 avril 1884.