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522                      LA R E V U E     LYONNAISE

un Mistral nouveau, aussi différent de l'autre que l'est Nerte de Mireille et
d'Esterelle.
   La strophe de Mirèio et de Galendau, pour ne parler que du rhythme, est
superbe d'ampleur. Mistral la manie tout le temps, avec une admirable aisance,
il est vrai. Néanmoins, une strophe qui se prolonge et se répète à travers deux
fois douze chants, dans doux poèmes si divers de fonds et de forme, ne laisse pas
de paraître enfin tant soit peu monotone.
    Dans Nerto, un vers de huit pieds, qui se déroule plein de mouvements capri-
cieux en sa marche régulière. Ce vers, aimé des vieux troubadours, obéit bien
au Fclibre. La phrase elle-même, nullement gênée par la stance, prend
l'espace qu'il lui faut, s'arrête quand elle veut; et, de cette façon, conjure l'uni-
 formité, mère de l'ennui.
    Le style y gagne. Adieu la somnolence, adieu la roideur. Ni vains mots, ni
 vains détails. Une strophe, voyez-vous, c'est le lit de ce Procuste si renommé
 au collège. Malheur à l'idée trop courte: il s'agit de l'allonger; à l'idée trop
 longue : comment raccourcir?..
    Nerto ignore ces contraintes et ces embarras. C'est une source qui jaillit, c'est
 une eau qui se précipite, comparable aux flots de pierreries épanchées de ce puits
  à roue, dont parle le poète, que Satan manœuvre à tour de b r a s . Le P . de la
  Croix découvrit naguère une cité gauloise, bien entendu immobile et muette,
  accoutumée au silence du sépulcre. Mistral, plus heureux, a « trouvé » toute
  une époque du moyen âge, bien vraie, bien vivante, qu'il nous donne telle
  quelle, bonnement et simplement, sans grattage, sans rapiécetage, sans ver-
  nissage ; et, s'il y a de l'art en l'affaire, cet art n'est qu'une seconde nature!
     Nerto est mieux qu'une exhumation, Nerto est une résurrection du passé.
     Mistral, secrétaire de Benoit XIII (Pétrarque fut bien le secrétaire et l'ami de
  Clément VI !) n'aurait pas semblé plus clairvoyant témoin, ni rapporteur plus
  exact. Impossible d'être plus nature et plus histoire que cela ; et pour un peu l'on
  se demanderait si Mistral, de Maillane, n'est pas un contemporain et lin compa-
  triote de ce Dante, de Maillane en Italie, réédité de nos jours par Suchior ou
  Chabaneau.
    En vérité, il n'y a que le génie pour créer ou pour recréer ainsi.
    Quelques-uns ont dit que Nerto était un fruit du loisir, né et mûri pendant les
 heures de détente, parmi les lassitudes d'un grandiose, dictionnaire en construc-
 tion; je crois peu à ce bavardage. Les nobles intelligences ignorent lo repos;
 et c'est en passant d'une œuvre à une œuvre que Mistral se défatigue.
    Les poètes obéissent volontiers au besoin d'égayer par un r i r e , par un sourire
 tout au moins, l'austérité de leur tâche quotidienne; ainsi Homère écrivit le
 Combat des rats et des grenouilles ; Virgile, le Moustique ; Corneille, le Men-
 teur ; Racine, les Plaideurs ; etc. Mistral a négligé de descendre au badin ; il
 n'a osé qu'un chef-d'œuvre de grâce familière. Gomme au temps de Samson, du
 puissant est sortie la douceur...

    III. Les journaux de la capitale, depuis des semaines, ne savent que redire:
 « Frédéric Mistral est à Paris. » En effet, si j e suis bien renseigné, un triomphe
 attend là-haut le grand-maître du félibrige. Alphonse Daudet, sans penser à mal,
 appela un jour Mistral « Le nouveau Ghactas ». Ce mot fit fortune. Nous autres
 provinciaux, que sommes-nous pour ces messieurs de Paris ? Des sauvages. Heu-