page suivante »
CLAIRETTE 167 tagnes, vagabonds allant on ne sait où par ces chemins qui ne mènent nulle part. Et le dimanche il y a le baccarat au cercle, le baccarat, la partie hebdomadaire où se ruent indigènes et fonctionnaires, — la seule distraction de ces désÅ“uvrés et de ces exilés. Je les vois faire et je songe à ces jours de ma vie à grandes guides où, moi aussi, le sourire aux lèvres et l'ennui dans le cÅ“ur, je jetais l'or dans des bancos exagérés. Mais, ces deux jours passés, quelle tranquillité, quelle paix dans ce pays ! En dehors de cette route, il n'y a plus que les sentiers de chèvres qui vont à la montagne, aux hameaux perchés dans la région des nuages. Trois heures de voyage, en diligence, ou quatre,, et l'on serait au chef-lieu, — presque une ville. Je n'y vais pas. Je préfère rester ici, dans les rochers de Saint-Marcel,parce que, ici, il y a Clairette... Plus tard sûrement je les regretterai, ce temps d'amour singulier et ce pays où je ne reviendrai jamais. Les jours se succèdent chauds et calmes. Les midis sont brûlants. La nuit tombe vite, vers huit heures, et quelquefois alors un peu de fraîcheur. Neuf heures sonnent à la vieille horloge. Je monte la route, vite, comme avec une fièvre délicieuse, car Clairette m'attend sur le banc vert. Je ne sais pas encore si elle m'aime. Elle ne me l'a jamais dit ; car elle n'est pas la fille des aveux et ses abandons sont toujours inconscients. Mais ce que je vois bien ce sont ses langueurs, les rêves de ses yeux, ses sourires où semblent s'épanouir les paroles d'amour, ses gestes de pudeur ou de refus où pourtant toute une confiance et toute une affection se révèlent. Ce que je sens bien c'est sa main qui s'oublie et frémit dans la mienne, son cÅ“ur qui bat à troubler l'haleine et qui soulève en mouvements pressés sa belle poitrine, comme un rythme chantant des vagues égales Assis à côté d'elle, un bras serrant sa taille, penché sur son épaule, j'allume successivement des cigarettes et elle m1 éteint Ã