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74                           LA REVUE LYONNAISE
   — Prends-bien garde, lui dit-on, de ne pas en perdre; car s'il t'en manquait
ce soir seulement la queue d'un, on te brûlerait les reins.
   — Oh! je le sais, dit le faraud. Soyez tranquille, il ne m'en manquera
point.
   Et la besace bien garnie, son panier de lapins sur l'épaule, il gravit la mon-
tagne en sifflant.
   Arrivé sur le plateau, il décharge ses lapins, ouvre le panier et prrrt! prrrt !
l'un après l'autre s'enfuient dans le bois. Et voilà les lapins partis.
   Mais sur le soir, quand il fallut les rassembler, il eut beau piétiner les plantes
de thym et les touffes de buis, lancer des pierres dans les arbrisseaux sauvages,
le pauvre garçon n'en découvrit pas la queue d'un. Et sot comme un renard
qu'une poule aurait pris, il s'en retourna tête basse, ainsi qu'un chien qui a laissé
son maître.
   Arrivé au château, les gens du Roi avaient déjà soupe et l'attendaient accoudés
sur la table, en causant.
   En le voyant entrer, vous n'auriez pas dit qu'il avait encore son âme, tant
son cœur battait vite.
   — Eh bien ! mon beau faraud, lui dit la servante en riant, où sont tes lapins ?
   — Us m'ont échappé !
   — Ils t'ont échappé!. . mais tous?
   — Oui, tous.
   — Eh bien, tu est joli et tu peux te faire friser. . Allons, petit, donne-moi la
 pelle.
   Aussitôt dit, le marmiton fourre dans la braise la grosse pelle de la cuisine
 qui fut bientôt ronge. Les valets attrappent le pauvre garçon, le couchent sur la
 table, et sans pitié, lui brûlent les reins.
    Il fallait le voir, le faraud, comme il rechignait, comme il soufflait, comme il
 criait et surtout comme la chair crépitait. On aurait dit d'un maréchal brûlant
 le pied d'un mulet.

   — Douno-te siuen, ie dison, de n'en ges perdre, car se te n'en manco aniue soulamen la
co d'un, te brulon li sèt eourrejo.
  — O, lou sb.be, digue !ou farot ; siegués tranquile, me n'en mancara ges.
  E, la biasso bèn garnido, soun tareirôu sus l'espalo. enrego en siblant la garrigo. Arriva
sus lou planot, descargo ; alargo si lapin, e put, pat! un après l'autre s'enfuson dins lou bo»,
e bello nnido.
  Mai, sus lou vèspre, quand fauguè pièi lis acampa, n'en trapejô de ferigoulo e debadafo;
n'en bousquè, de tousco d'avaus e de mato de bouis ; fin-qu'à la negro mine n'en jitè de
eaiau e de maugrabiéu; mai, paure! n'en destousquô pas la co d'un. E sot coume un foun-
déire, s'entournè, la tèstosouto coume un chien qu'a leissa soun mèstre.
  Arriva au castèu, li gènt dou rèi avien soupa,e l'esperavon, acouida sus la taulo, en parlant.
En lou vesènt rintra, n'aurias pas di que l'amo èro siéuno, tant tout soun cors fasiê tres-tres.
  — Eh bèn ! moun bèu farot, ie fai la servicialo en risènt, mounte soun ti lapin ?
  — M'an escapa!
  — T'an escapa! mai, touti?
  — O, touti.
  — Eh bèn, sies poulit! pos te faire frisa. An, daut ! pichot, mete la paleto.
  — E tant lèu di, lou miarro fourro dins lou recaliêu la grosso paleto de la cousino, que
sieguè lèu roujo ; li varlet l'aganton, lou couchon sus la taulo, e, sens pieta, ie brulon li sèt
eourrejo.
  Falié lou vèire, lou farot, coume repetejavo, coume tuhavo, coume bramavo, e subre-tout
coume li eourrejo petejavon ; aurias di un manescau besusclant H bato d'un miôu.