Eloge d'un bibliothécaire
Notre collègue Guy Parguez, bien connu des historiens du livre et des bibliothécaires responsables de collections anciennes, vient de prendre sa retraite après avoir dirigé, pendant trente six années consécutives, le Fonds ancien de la Bibliothèque municipale de Lyon. Avec son départ, et même si nous savons que nous pouvons toujours compter sur ses lumières, ne serait-ce que dans les colonnes de Gryphe, c'est incontestablement une page importante de l'histoire de notre institution qui est tournée.
Conservateur général des bibliothèques, archiviste paléographe, diplômé de l'Ecole Nationale des Chartes, disposant d'une solide formation en histoire, en latin et en philologie anglaise, Guy Parguez aura mis toute sa science et une sagacité peu commune au service des collections dont il avait la charge.
Bien sûr, il fit oeuvre de savant et publia de nombreuses contributions à l'histoire du livre, consacrées surtout aux éditions lyonnaises et aux caractéristiques qui permettent d'identifier un exemplaire ou de distinguer une contrefaçon. Il aborda, par exemple, de façon novatrice, l'étude des ornements d'imprimeurs. Ce fut aussi un précurseur, qui s'intéressa, dès la fin des années 1960, à l'informatisation des données bibliographiques, comme le prouve sa très précieuses Table du Manuel de Brunet, «codée en vue de son utilisation sur ordinateur». Récemment encore, dans le cadre du programme européen Debora, il établissait des règles de balisage pour la numérisation des ouvrages du XVIe siècle...
Mais Guy Parguez fut surtout pleinement bibliothécaire, c'est à dire - suivant une expression à la mode - un véritable « passeur », dont la connaissance intime et quotidiennement approfondie des collections lui permettait d'orienter subtilement le chercheur, voire de lui indiquer une piste insoupçonnée. Il suffit de parcourir, via Internet, les dizaines de milliers de notices catalographiques qu'il a rédigées pour s'en convaincre : rarement un catalogue de bibliothèque aura serré d'aussi près, dans sa singularité, chaque ouvrage, chaque exemplaire, tout en l'inscrivant dans un cadre systématique.
Cette quête de clarté et de sens, dans l'univers intrinsèquement complexe et chaotique de la bibliothèque, n'avait rien de desséchant. Guy Parguez y déployait, sous une apparente timidité, un humour pince sans rire qui en désarçonnait plus d'un et une gourmandise toujours en éveil, apte à débusquer ces bizarreries qui hantent souvent l'univers vertigineux des vieux imprimés. Pontifier et donner des leçons n'était certes pas dans son style, mais en faisant partager à ceux qui le côtoyaient un certain regard sur le monde, à la fois distancié, mais sans désespoir, amusé, mais sans cruauté, il leur a finalement transmis un peu de ce que l'on est en droit d'appeler la sagesse bibliothécaire.
