Pour une meilleure navigation sur le site, activez javascript.
page suivante »
So               UN VIEUX DE TRENTE AXS

les cris de toutes sortes, les exclamations, les chants
même, il paraissait ne vouloir rien entendre; ramassé dans
son coin, il fermait les yeux et semblait dormir tranquille-
ment. Il était habillé comme nous tous, d'un pantalon gris-
bleuté à bande rouge, d'une blouse en toile bleue et d'un
képi en drap noir avec bandeau rouge; de petite taille,
notre compagnon avait un nez d'une longueur dépassant
celle ordinaire et de grandes et épaisses moustaches qui
semblaient, dans l'ombre, couper son visage en deux
parties.
   Après avoir examiné notre camarade de route, constaté
une fois de plus qu'il nous était inconnu et demandé vai-
nement à chacun de nous comment ce vieux s'était
faufilé dans la mobile, notre gaîté primesautière reprit le
dessus, nous ne nous occupâmes plus de notre voisin et
nous continuâmes à faire du bruit, à chanter, à vociférer
même comme précédemment.
   Ce vieux, ainsi que nous le désignâmes tout d'abord entre
nous et qu'il fut toujours surnommé dans la suite, n'avait que
trente ans; mais pour nous, soldats de vingt à vingt-quatre
ans alors, un homme de trente ans nous paraissait d'un
âge fort éloigné du nôtre et de là cette qualification de
vieux qui resta à notre nouveau camarade et dont
d'ailleurs il ne paru jamais se froisser. Officiellement il
répondait à l'appel de Henri Muller.
   Ainsi que nous l'apprîmes par la suite, notre frère
d'armes de trente ans était un Alsacien, né à Bischheim,
près de Strasbourg; il avait fait un congé de sept ans sous
les drapeaux et était resté presque tout le temps de son
passage à l'armée dans les casernes de Lyon. A sa libération,
au lieu de retourner dans son village d'Alsace, il préféra
prendre son domicile à Lyon. Bon ouvrier mécanicien, il