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CHRONIQUE LOCALE. Comme à toutes les époques de l'humanité, nous sommes solli- cités par deux forces ennemies et rivales, deux puissances également énergiques et jalouses, deux grands principes différents. Zoroastre et Manès ont même dit de fort belles choses là -dessus. Qui l'emportera des deux? Qui comptera de plus nombreux disciples, des apôtres plus fervents? Theat is the question. Si les deux principes sont égaux, ils se neutraliseront, me dira-t-on, et si l'un d'eux est le plus fort, il aura bien vite raison de l'autre ; oui, mais le combat commence à peine et nous n'avons encore ni vain- queur ni vaincu. Si, du moins, on pouvait conserver son cœur et son esprit indé- pendants ; mais cela est difficile. Les deux rivaux ont levé bannière et il faut se rallier. Le clairon sonne, prononçons-nous. Ici je vois écrit: Concerts! et là -bas : Conférences. La foule se partage, court aux uns, vole aux autres. La ville est divisée et on se mesure déjà des yeux. Isthme de Suez, paupérisme, assistance publique, unions ouvrières, Corneille, poids et mesures, homœopathie, ouvriers de génie, lit-on d'un côté. — Luigini, Aimé Gros, Patti, Batta, Vieuxtemps, lit-on de l'autre. Bah! la musique est chose bien futile. Les sons volent, la science reste. Allons à Corneille et recueillons-nous. L'orateur monte à la tribune, l'ombre du grand tragique apparaît avec sa magique auréole; le silence règne, les esprits sont attentifs, la parole sacrée se fait entendre : Sitôt que Didon eut dit: Chut! Chacun lit silence et se tut. La pauvre reine embéguinée Des rares qualités d'Enée Rongeant les glands de son rabat, Sur lui, de grabat à grabat, Décoche quantité d'oeillades Propres a faire des malades. Lui qui n'est pas un innocent Pour une en rend un demi cent. Ce brave seigneur pour se taire Et ponr n'avoir tel conte à faire Eût donné ce qu'on eût voulu, Mais Didon l'avait résolu. 11 se relève la moustache, S'ajuste en son lit, tousse et crache, Puis se voyant bien écouté Il dit avecque gravité :