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UNE NOCE. 77 vieillard donc, que la disposition de son esprit engageait à l'expansion, se mit à marcher au pas de son compagnon de route et sans être intimidé par son silence, il lui dit avec la cordialité un peu familière des paysans du Maçonnais: — Vous venez donc vous promener dans notre pays, mon- sieur Frédéric? Le jeune homme leva la tête tout en réprimant le brusque mouvement de sursaut des gens qui s'éveillent d'une réflexion absorbée ou d'un profond sommeil, puis il répondit: — Ah! c'est mon compagnon de voyage! oui, je viens dans votre pays, mon brave homme, mais puisque vous me connaissez, vous devez savoir que c'est aussi le mien. — Pas tout à fait, monsieur, ce n'est que relui de votre mère, cette bonne Mme Husson ; tout le monde la regrette encore et cependant elle a laissé dans sa famille de braves cœurs qui imitent son exemple; mais nous n'oublions pas ceux qui nous font du bien, nous autres, et à deux lieues a la ronde on vous reconnaîtrait rien qu'à votre ressemblance avec elle ; là , sans vous flatter vous avez bien changé depuis qu'on ne vous a vu à Léontaud. Vous êtes grand, vous êtes fort. Mais dites-moi, quel âge pouvez-vous bien avoir? — Et sans attendre une réponse, le vieillard se mit à compter tout bas, raccrochant les fils embrouillés et perdus de sa mémoire en les rattachant aux rares événements de sa vieille vie peu accidentée. Frédéric joignait à une certaine dose de vanité une grande hauteur; il lui déplaisait d'entrer en conversation réglée avec ce paysan ; aussi se décida-t-il à répondre brièvement, de façon à faire comprendre au vieillard que son amabilité était importune et ses avances déplacées. — J'ai vingt-sept ans, lui dil-il, ne savez-vous pas cela aussi bien que tout le reste? — Si, je le sais maintenant, répondit le père Fontaine en cessant ses calculs d'un air satisfait. Vous avez vingt-sept ans,