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                       CHRONIQUE LOCALK.                        359
  Nous allons le juger, voici ce qu'il est comme homme :
     « D'où vient que sur mon cœur, plein de sève et de force,
     L'égoïsme du siècle a roulé son écorce,
          Que mon urne n'a plus d'encens,
     Que l'amour à mes yeux n'est qu'un commerce infâme
     Où la soif corporelle éteint la soif de l'âme,
          Où l'esprit se tait sous les sens ?

    D'où vient que dans mon être, où leur source est tarie,
    Rien ne vibre aux saints noms d'honneur et de patrie,
         Que mon âme est veuve de foi ;

    Pour en être venu jusqu'à salir de boue
    Tout ce que l'on chérit, haïr tout ce qu'on loue
         Et puis, grincer des dents !... »
                                           Branle-Bas, p. 156.
  Le voici comme poète :
       « Tout à coup sous la chaire un homme sanglota ;
       Puis d'un bâton de houx, ramassé sur la dalle,
       ll^se disciplina la colonne dorsale,
       Tirailla sa moustache où le tabac suintait,
       Encore un mot de plus et la barbe y sautait.
       Les yeux de l'inconnu semblaient deux escarboucles,
       Ses hispides cheveux, noirs et roulés en boucles,
       Encadraient un visage ovale et basané.
       Sur sa face amaigrie un gigantesque nez
       Jetait de l'ombre. Immense était sa vieille barbe,
       Dont la blancheur tranchait sur un teint de rhubarbe ;
       Et, d'une oreille à l'autre, armata dentibus,
       Sa bouche aux coins plissés se fendait en rictus.
       Un pourpoint de velours criant miséricorde
       Lui tombait sur les reins, noué par une corde ;
       Et comme de Foë nous montre Robinson,
       Le cuir velu d'un bouc formait son caleçon. »
                                                 Branle-Bas, p. 81
   Assurément M. Victor de Laprade n'a jamais fait de vers
comme ceux-là.
   Ce pourpoint qui crie miséricorde n'est-il pas'aussi hardi que
l'oiseau qui baigne sa plume dans un rayon vermeil ! et si nous
voulions citer encore !
        « Prenez garde! l'oison que votre vers dénigre,
        Blessé dans son orgueil, peut se changer en tigre. »
   Cet oison qui se change en tigre ne fait-il pas un curieux effet?