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20() DES AFFINITÉS DE LA POÉSIE
De bonne heure Athènes eut ce pressentiment, que celui
qui a la mer a l'empire : qui mare tenel, eum necesse est
rerum potiri (1). Il y a même un moment, dans son histoire,
où ce pressentiment devient une conviction nationale ; c'est
le jour où la Pythie annonça aux Grecs consternés qu'ils
trouveraient leur salut dans les murailles de bois, emblèmes
de leurs vaisseaux. Ce jour la, le secret de leur véritable
force leur fut révélé. Athènes qui avait, seule, bien compris
l'oracle s'adjugea les bénéfices de la prédiction et y con-
forma résolument sa politique. Ce fut celle de tous ses grands
hommes, depuis Themistocle qui, pour l'avoir ouvertement
poursuivie, encourut le reproche de réduire ses compa-
triotes au banc et à la rame , jusqu'à Périclès, le continua-
teur du Pirée ; jusqu'à Alcibiade qui, malgré les brillantes
incohérences de son caractère et de sa vie, rêva d'asseoir
la domination athénienne sur les côtes de l'Afrique, par la
conquête de la Sicile.
Et cet empire de la mer, Athènes ne l'entendait pas à la
manière étroite des Romains qui ne la firent jamais consister
que dans l'entretien d'une puissante marine militaire ; elle
l'entendait surtout dans le sens de suprématie commerciale.
Avoir l'empire de la mer, c'était pour elle être maîtresse
des importations et des exportations ; c'était, en couvrant
la mer de ses vaisseaux et en accaparant les transports et
échanges, assurer sa subsistance et sa sécurité, avoir une
main dans toutes les affaires de la Grèce, surveiller ses
alliés, soutenir ses colonies , répandre partout son esprit ;
c'était, en un mot, posséder l'hégémonie. Et comment eût-
elle douté que cette hégémonie lui appartenait, lorsqu'elle
voyait, reunis au Pirée, comme dans un marché universel,
(I) Cicero, Ai Atlicum, cité par Duruct, Histoire du Commerce des
Aîicirn*.