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224 DE LA FOLIE. tion aucune, de tout l'univers un vaste Bedlam. Cette humour britannique est, du reste , du vieux sel pilé trop gros pour la France. « Locke le savait bien, » dit M. Flourens. Je le crois volontiers, si l'illustre académicien voulait malicieusement dire que Locke le savait par expérience. J'aime peu , je l'a- voue , ce sophiste de la matière se faisant l'exécuteur impla- cable des associations vicieuses d'idées. Ce rôle reviendrait mieux à notre Descartes et à notre Bossuet ; double autorité bien plus respectable que M. Flourens invoque souvent avec tant d'à propos. Quoiqu'il en soit, c'est de cette sage appréciation de l'ha- bitude qu'a découlé pour Leuret l'art tout nouveau de sa méthode curative. Elle se réduit à ces simples règles : 1° Détruire l'habitude intellectuelle mauvaise par la dis- traction et le détournement de l'esprit de l'aliéné de toutes ses idées folles ; 2° Créer, par contre, des habitudes intellectuelles bonnes, par la pratique d'idées et d'actes opposés à ceux qui ont ab- sorbé jusque-ià l'esprit de l'aliéné. Et, pour cela, il s'adresse d'abord au travail du corps, qui est la distraction la plus saine ; et ensuite au travail de l'es- prit, qui est la plus nécessaire des occupations. Occuper le corps d'un fou par le travail, cela se conçoit sans peine ; mais occuper l'esprit d'un fou par la pensée! cela est d'une bien autre difficulté? C'est donc ici que brille la sagacité et la pé- nétration de leur savant bienfaiteur. Leuret amène les aliénés au bon sens et à la raison pleine par l'entraînement instinctif et involontaire du sentiment de l'imitation. Ce sentiment qui pousse le fou, même aux actes de travail physique, ne tarde pas , en effet , à le saisir, par tout son être , pour le travail intellectuel de la pensée ; une certaine honte se fait son auxiliaire ; et il ne s'agit que de commencer.