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                       VICTOR DE LAPRADE.                      331

 il le dit, en manière de contrition, payé son tribut aux er-
 reurs funèbres, subi le charme du savoir orgueilleux , mais
 il a été plus lard touché par la Grâce et il consacre ses der-
 niers, chants à Jésus-Christ. Ces sentiments inspirent mani-
 festement les poèmes de la seconde série.
    J'aurais bien envie de chicaner, en passant, M. de Laprade
 sur le trop d'éclat qu'il me paraît avoir involontairement
 donné à sa conversion ; il n'a jamais été, que je sache, un gros
 pécheur, et, en allant du cap Sunium au Calvaire, par ses grands
 bois de chênes, peuplés de visions et de symboles, il me semble
 avoir suivi le chemin tracé devant lui plutôt que d'en avoir
 changé. Dans ses bois, pleins d'une horreur religieuse, on en-
 tend toujours le murmure delà fontaine de Siloéet comme
 un souffle venu de l'Horeb. Il y a, d'ailleurs, dans l'esprit du
 poète, et tous ceux qui ont pu l'étudier de près le savent bien,
 certaines prédispositions plaintives qui l'inclinent naturellement
 vers une religion lugubre et douce à la fois. Sa muse n'a rien
 de païen, elle est trop sévère, trop gémissante pour cela ; il
se rencontre aussi chez lui, a côté du mépris de la chair, un
sentiment profond de la déchéance et de l'incapacité de notre
 nature qui est tout l'opposé des prétentions excessives de
l'homme moderne. Celui-ci, en effet, veut être en tout cause
et principe , il aspire à tirer de lui-môme jusqu'à l'infini,
jusqu'à Dieu, pour ainsi dire. C'est ainsi que Fichte a pu
prononcer celte fière parole : le mot crée le monde ; remar-
quez, au contraire, que Psyché monte s'asseoir dans l'Olympe,
portée dans les bras d'Eros, qui devient un Médiateur symbo-
lique nécessaire entre la créature et le créateur. La preuve
que M. de Laprade n'a pas changé du tout au tout, à un mo-
ment donné, comme il a pu le croire, c'est qu'il a écrit la
moitié de ses Poèmes évangéliques, bien avant sa conversion.
   Se convertir, c'est bien; le faire discrètement, simplement,
c'est quelquefois mieux à mon sens. En agissant autrement,