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102                 DU SENTIMENT POÉTIQUE

Dieu, il est également vrai que la création ne peut renfermer au-
cune forme qui ne dérive d'une des idées de l'intelligence divine.
En un mot, il ne peut y avoir dans la nature aucune forme, au-
cun signe qui ne corresponde à une idée et aucune idée qui
n'existe en Dieu. Chaque phénomène de la nature est le symbole
d'une des pensées de Dieu.
   Le sentiment esthétique de la nature nous apparaît donc déjà
comme composé de deux notions également essentielles, la no-
tion de l'idée et celle de la forme. À l'aspect de chaque phéno-
mène de l'univers, nous sentons implicitement qu'il y a là, ou-
tre la forme physique, une signification morale.
   Mais la nature est autre chose qu'un livre composé de carac-
tères inanimés, qu'un tableau peuplé de figures muettes. La
création ne représente pas la pensée du créateur comme l'écri-
ture représente la pensée de l'homme. Il y a quelque chose de
plus dans la nature que la forme et l'idée, quelque chose de su-
périeur à la forme et à l'idée elle-même, quelque chose qui ex-
plique cette union de l'idée avec la forme, et qui rend ainsi
compte de la création.
    Dans la nature, faite à l'image de Dieu, il y a plus que l'idée
et la forme, car en Dieu il y a plus que l'intelligence et la puis-
sance, plus que la pensée et la force d'incarner la pensée dans
une manifestation extérieure. L'intelligence et la puissance toutes
seules ne suffisent pas pour expliquer comment la pensée divine
est devenue un monde vivant extérieurement à Dieu, comment
l'idée a produit la forme et pourquoi le Verbe invisible s'est ex-
primé dans une création.
    Un troisième élément existe dans la nature avec l'idée et la
forme, de même qu'il existe dans l'Être absolu une troisième
énergie avec la sagesse et la puissance. Ce troisième principe de
la nature est autre chose que le rapport de la forme à l'idée,
ainsi que l'appelleraient certains philosophes. Cet attribut néces-
saire possède une existence plus active et pour ainsi dire plus
personnelle que ne le serait la qualité d'être un simple rapport
de médiation entre l'idée et la forme. Ce troisième aspect, ce
troisième attribut de la nature qui se retrouve à un degré plus